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maine. Sous cette tutelle religieuse, ils devinrent dès le premier instant ce qu’ils devaient être durant tout le moyen âge, les fils aînés de l’église, les soldats et les lieutenans de Dieu agissant par les armes françaises, comme disent les chroniques du temps : Gesta Dei per Francos. On ne vit point en France ce qu’on vit dans les autres royaumes barbares, en Angleterre et en Italie par exemple, des chefs barbares exerçant un pouvoir indépendant de l’église, résistant à la puissance ecclésiastique, ou s’obstinant avec un sauvage orgueil dans leurs anciennes habitudes de commandement et dans leur rôle de chefs de tribus. Dans les origines de la monarchie française, aussitôt après la mort de Clovis, on sent partout une action indirecte et mystérieuse autrement puissante que la hache et la framée franques, et qui de toutes parts enlace, presse dans un réseau invisible et serré le chaos de barbarie au milieu duquel agonisent les populations. On voit les chefs barbares passer comme des ombres sanglantes, s’agiter, s’égorger, jouer dans tous ses détails leur meurtrière pantomime ; mais ce n’est qu’une pantomime : la pièce véritable, sérieuse, se joue ailleurs. La monarchie française se fonde dans leur personne, mais à leur insu et presque sans aucune participation de leur volonté. Ils règnent et ne gouvernent pas ; des prêtres habiles, des créatures du clergé dirigent à des titres divers cette royauté débile, et malheur à tout ministre hostile au clergé ou représentant de quelque influence contraire à la sienne. Il est sûr d’être écarté, exilé, mis au secret dans un cloître, calomnié jusque dans la postérité la plus reculée, déclaré traître, ambitieux et ennemi de l’état. La France est fondée avec le concours d’une barbarie nominalement puissante, moralement sans empire, et cette barbarie s’étiole et s’énerve rapidement, comme étouffée sous les embrassemens du clergé. Lorsque la première dynastie de cette race conquérante dut céder la place à une famille nouvelle, les talens et l’énergie de ces nouveau-venus ne servirent pas moins bien les vues du clergé que les vices et la faiblesse de leurs prédécesseurs. C’est lui qui leur donna leur raison d’être et détermina la mission qu’ils devraient accomplir : établissement de la puissance temporelle des papes, conversion violente de l’Allemagne, idoles poursuivies et brisées jusque sur les bords de la Vistule et sur les rivages de la Mer du Nord. C’est au profit de l’église et sous l’inspiration de l’église que règnent et combattent les rois carlovingiens ; c’est à son triomphe et à son exaltation qu’ils travaillent. L’œuvre politique de Charlemagne tombe en ruine dès sa mort ; mais sur cette poussière l’église reste debout, vénérée et terrible, unique puissance, pouvant déjà à son gré faire et défaire toutes les autres, comme le prouvèrent les scènes qui accompagnèrent et sui-