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le Français est sceptique et se complaît dans le scepticisme : pure calomnie que nous propageons par esprit de fatuité ; il n’est pas de nation où l’individu ait plus à cœur d’avoir une croyance précise, soit plus tourmenté lorsqu’elle lui manque, et fasse de plus sérieux efforts pour s’en forger une et se convaincre de la réalité des fantômes qu’a enfantés son esprit. Il en est de même de la proverbiale légèreté française. Nous ne sommes point légers, nous sommes téméraires et cyniques : téméraires devant les dangers et les difficultés de la vie, cyniques dans la défaite et devant le spectacle du mal. Au fond, notre prétendue légèreté, sous les deux formes qu’elle revêt, témérité et cynisme, contient la plus haute philosophie, celle de la résignation. Nous sommes donc légers si l’on veut, mais seulement dans les choses auxquelles toute la gravité du monde ne pourrait rien changer. Grâce à notre esprit militaire, à notre esprit révolutionnaire, nous passons pour un peuple aventureux, et néanmoins il n’y a pas de nation chez laquelle les habitudes aient autant de puissance. Enfin une opinion très répandue veut que le Français, être sans profondeur, n’ait aucun penchant aux spéculations abstraites, rêveries bonnes seulement pour les habitans des brouillards allemands. Or il n’y a pas de peuple chez lequel les idées abstraites aient joué un aussi grand rôle, dont l’histoire témoigne de tendances philosophiques aussi invincibles, et où les individus soient aussi insoucians des faits et possédés à un aussi haut degré de la rage des abstractions. Ce ne sont là que des détails et des nuances, et nous pourrions les multiplier. Ils nous suffiront pour justifier ce que nous avons avancé, que le Français ne se connaît pas lui-même et qu’il se calomnie sans le savoir. Lorsque les étrangers, dans leur amour ou dans leur haine de la France, prononcent leurs jugemens, souvent le Français refuse de les admettre. Ce Français qui tient surtout à se montrer par ses qualités secondaires, et qui s’ignore lui-même, s’étonne des complimens et des injures étranges qui lui sont adressés. — Peuple initiateur, peuple qui s’est chargé de faire pour les autres nations les expériences périlleuses ! disent les uns ; peuple ennemi des libertés d’autrui, tout prêt à sacrifier des victimes humaines à son Moloch de justice abstraite, sans souci des droits acquis ! disent les autres. Emphase allemande, vieille morgue anglaise ! répond le Français, qui ne comprend pas comment il a pu mériter ou cet excès d’honneur ou cette indignité. Et cependant il a tort : le génie de la nation à laquelle il appartient se retrouve bien mieux dans ces interprétations étrangères qui l’étonnent si fort que dans les opinions qu’il cherche à accréditer lui-même.

Un fait surtout est capable d’éclairer singulièrement sur les destinées de la France : ce sont les espérances qu’inspire la France à