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GÉNIE FRANÇAIS





Historiens et publicistes, nous sommes tous sujets à d’étranges erreurs, fruits de nos préoccupations personnelles et des influences délétères que nos passions exercent sur notre jugement. Nous jugeons souvent des choses par mauvaise humeur politique ou sous le coup d’une déception. Nous les voyons souvent toute la vie telles qu’elles nous sont apparues un certain jour, à un moment donné et sous un rayon particulier, qui transfigurait ou décolorait leurs traits véritables. Notre jugement exagère alors un détail outre mesure, et prend un point isolé de tel ou tel caractère pour l’ensemble même de ce caractère. Cela est vrai surtout des jugemens que nous portons sur les peuples lorsque les révolutions sont venues ruiner nos espérances et mettre notre logique aux abois. Irrités des conséquences que tel ou tel défaut national a produites à une certaine minute, nous n’avons pas de peine à ne voir dans le passé qu’une longue série de conséquences fâcheuses engendrées par des défauts de même nature, comme auparavant nous ne voulions y voir qu’une longue série de conséquences heureuses que nos espérances étaient chargées de résumer et de couronner. Hélas ! la déception politique est semblable à toutes les autres déceptions ; elle augmente singulièrement notre clairvoyance sur certains points, et nous rend complètement aveugles sur d’autres. Bien des jugemens contradictoires ont été portés sur la France depuis quarante ans, et surtout depuis la révolution de février. Formulés ab irato sous le coup des événemens, ils se sont ressentis de leur origine, et en dépit des progrès de la science historique, ils expriment souvent bien plus la disposition d’âme, les es-