Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leur vie publique, dans leur conscience l’origine ou la raison de leurs actions, dans leurs mouvemens les plus spontanés et les plus sincères les marques certaines de leurs secrets instincts et de leurs vraies destinées.


I.

Le scandinavisme a déjà une histoire, disions-nous. La première période en est toute littéraire et poétique. A sa naissance en effet il nous apparaît comme un des nombreux aspects de la rénovation littéraire et morale dont l’Europe est témoin dans le même temps. C’est assurément le caractère particulier de la première moitié du XIXe siècle que chacune des littératures nationales de l’Europe, absorbées naguère par le génie cosmopolite du siècle précédent, par l’habitude et le goût des imitations, se retire alors du grand chemin banal où toutes les traces et toutes les empreintes étaient confondues, se recueille à part, creuse son sentier, et prend une foi nouvelle dans sa propre inspiration et dans ses propres forces. En France, quand s’apaisent autour de nous le tumulte de la révolution et le fracas de la conquête, nous prêtons de nouveau l’oreille à cette voix du spiritualisme chrétien que nous avions oubliée, mais qui s’élève encore du fond de nos cœurs, et dans laquelle nous croyons reconnaître la voix même du génie français; nous lui demandons une réforme non-seulement morale, mais littéraire, et nous prétendons, dans notre zèle de néophytes, qu’une originalité plus que jamais profonde, exagérée quelquefois, marque cette nouvelle ère de notre littérature. En Allemagne, qui ne se rappelle comment la réaction littéraire jeta alors les esprits sans aucun frein sur la pente rapide où les engageait le propre génie germanique? En Angleterre enfin, lord Byron et Walter Scott n’imprimaient-ils pas à la littérature de leur pays un cachet bien autrement original que celui des Pope et des Addison ? Les peuples scandinaves avaient été trop mêlés aux agitations de l’époque précédente pour ne pas ressentir, eux aussi, la réaction commune. Ils y étaient d’ailleurs plus intéressés que les grandes nations elles-mêmes, à qui leur passé avait créé des traditions en même temps salutaires et glorieuses. Ils avaient eu, disséminés çà et là dans le cours de leur civilisation moderne, des hommes de talent et de beaucoup d’esprit, un Holberg, un Bellman ; ils avaient eu dans les sciences plusieurs beaux génies, un Linné, un Berzélius, un Oersted; mais ils manquaient encore de ce qu’on appelle, à proprement parler, une littérature, c’est-à-dire d’un ensemble de productions littéraires issues de cette inspiration, à certains égards commune, toujours contagieuse et féconde.