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interrompue. Il revenait de la ville, où il avait rencontré une de ses vieilles connaissances de Paris. M. de Réthel avait dans les yeux quelque chose que je connais et que je redoute : j’y lisais les mouvements impétueux de son cœur. Je l’ai questionné, il m’a répondu par monosyllabes ; mais comme j’insistais : « Ce n’est rien, m’a-t-il dit, c’est un assaut, j’en viendrai à bout ! » Il a mis une grande douceur dans ces paroles, avec un regard douloureux qui me navrait. Les larmes me sont venues aux yeux. « Quel mal je vous fais ! » a-t-il repris. Ah ! c’est sur lui que je pleure ! Sera-t-il toujours le maître des furieux assauts qu’il essuie ? Donnez-moi un conseil, mon ami ; que dois-je faire ? Faut-il partir, et partir au plus tôt ? Mais quel but indiquer à cette activité farouche, à cet âpre besoin d’agitation ? quel aliment calmera cette fièvre ? Je suis reconnaissante à M. de Réthel des efforts qu’il fait pour se vaincre : on y sent une âme généreuse en révolte contre mille passions. Hélas ! j’ai bien peur que les passions ne soient les plus fortes !

« Ne croyez pas, à ce langage, que mon espoir soit perdu et mon courage à bout. Non, je lutterai, et n’épargnerai rien pour m’assurer la victoire. Ma conscience me crie bien haut qu’il ne faut pas céder. Elle n’est pas non plus sans me faire quelques reproches. Peut-être ai-je senti trop profondément une blessure qu’il eût été d’une femme vaillante et droite d’oublier ; sous le coup de cette blessure, j’ai abandonné M. de Réthel et l’ai livré sans défense à toute la furie de ses instincts. J’étais une barrière, j’ai détruit cette barrière par ma fuite ! Encore aujourd’hui, n’ai-je pas des tressaillements douloureux quand je songe au passé ? Ah ! que Dieu m’assiste pour que je triomphe de moi-même et de lui !

« Si nous partons, mon ami, vous le saurez ; si nous quittons l’Europe, vous viendrez à Bruxelles : c’est bien le moins que je vous embrasse une dernière fois, si la mer doit nous séparer. »

Le trouble dans lequel cette lettre jeta M. de Francalin est inexprimable. Il la relut dix fois, et toujours il voyait l’Océan entre Mme Rose et lui. Il voulait partir pour la Belgique, et craignit de le faire de peur de la contrarier. Canada, qui le rencontra, n’osa pas lui parler, tant il avait le visage attristé. Georges allait et venait de la Maison-Blanche à Herblay, repassant en esprit chaque mot de cette lettre où sa vie était comme suspendue. Quel conseil pouvait-il donner à celle qui poussait vers lui un cri de détresse ? Et lui-même n’était-il pas décidé à partir pour l’Amérique, si Mme Rose y fuyait ?

Cet état de fièvre dura trois jours. Le quatrième au matin, Georges prit le chemin d’Herblay. Ses pieds l’y conduisaient d’eux-mêmes. Comme il montait la côte les yeux à terre, Tambour partit comme une flèche en aboyant. Georges leva les yeux et vit au loin les fenêtres