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qu’on dirait encore éclairée des lueurs de l’incendie de Moscou. Le livre de M. Thiers, entre tant d’autres mérites, à celui d’être la première histoire complète de l’empire, une histoire dont le temps rectifiera certains points de vue sans doute, mais qui, dans son ensemble, est le plus considérable témoignage sur une époque encore si rapprochée. L’auteur ne se borne pas à raconter les batailles, les coups de foudre de la guerre : il embrasse toutes les parties de ce vaste système impérial à la fois politique et militaire ; il ne se contente pas de présenter les événemens dans leurs résultats, il montre le génie de Napoléon à l’œuvre, luttant avec les difficultés qu’il se crée sans cesse, descendant dans tous les détails, conduisant l’administration, la police, les finances, la diplomatie, les affaires religieuses comme la guerre, gouvernant et commandant partout, prodigieux dans l’art de s’assurer des ressources, et plus l’historien montre ce qu’il fallait de génie à l’empereur pour retrouver après Moscou, après la retraite de Russie, une armée de quatre cent mille hommes à lancer en Allemagne, plus il laisse voir que la faute était ailleurs, qu’elle venait de la pensée qui emportait ce règne. En nul moment, cela n’est plus tragiquement sensible que dans l’année 1813. De quelque côté que Napoléon se tourne en effet, il se heurte à toutes les impossibilités qu’il s’est créées. S’il se tourne vers l’Espagne, il se trouve en présence d’une guerre qui l’obsède, qui l’irrite comme le souvenir permanent d’une faute, et qu’il ne sait comment finir. S’il ramène son regard vers l’Allemagne, il voit la Russie gagnant du terrain, la Prusse faisant volte-face, l’Autriche préparant ses prochaines évolutions, tous ses alliés ébranlés et la plus formidable coalition se nouant au milieu de l’effervescence du patriotisme allemand. Dans l’ordre religieux, il trouve le pape prisonnier, les consciences troublées, et vainement il se fait un instant l’illusion d’avoir tranché toutes les difficultés en imposant à Pie VII le concordat de Fontainebleau. En France, il n’y avait point de résistance ouverte sans doute, tout restait soumis ; mais l’inquiétude commençait à gagner les esprits, la conspiration Malet avait divulgué les faiblesses secrètes de l’empire ; les populations se lassaient de fournir des hommes, et l’empereur lui-même, malgré le prestige qui l’entourait toujours, ne laissait pas d’être rudoyé dans les faubourgs de Paris, ainsi que le rapporte M. Thiers. Comment triompher de cette situation ? Par des victoires nouvelles, éclatantes et surtout continues ; mais cette continuité de victoires nouvelles était-elle possible après vingt ans de guerres, avec des armées recomposées à la hâte, et en présence d’un effort suprême qui réunissait malheureusement contre nous les peuples et les rois ? Une autre issue était la paix, une paix qui restait encore honorable si elle était signée après une bataille gagnée, et sous le prestige reconquis de la victoire ; mais, même dans ces conditions, il fallait encore sacrifier bien des rêves et s’en tenir à ce qui était réalisable, à ce qui satisfaisait après tout aux plus légitimes ambitions.

C’est ici qu’éclate ce qu’il y a de décisif dans cette année 1813, et les récits de M. Thiers le montrent suffisamment. La paix était-elle possible en effet à ce moment ? Sans doute elle était possible, et elle était désirable dans l’intérêt de l’Europe comme, dans l’intérêt de la France et de la vraie grandeur de Napoléon. L’Europe ne pouvait manquer d’accueillir favorablement une grande transaction, car l’empereur était encore assez redouté pour qu’on