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la quitter il faut un passe-port…. Je ne sais que vous qui puissiez me le procurer. »

Georges réfléchit une minute.

« Ce passe-port, je l’aurai, répondit-il ; mais êtes-vous bien sûre que M. de Réthel consentira à partir ?

— Oui, si nous savons profiter du premier mouvement…. Je sens en moi quelque chose qui me dit qu’il m’écoutera. »

Comme elle parlait, un violent coup de sonnette retentit dans l’appartement ; on ouvrit, et M. de Réthel parut en riant aux éclats. Il ne manifesta aucun étonnement en voyant Mme Rose, et lui tendit la main après avoir salué Georges, qu’il remercia de son exactitude.

« Quelle fuite ! quelle déroute ! dit-il…. On a commencé par de beaux discours, on a fini par une course au clocher.

— Oui, dit Mme Rose froidement, et cette course au clocher, dont vous riez, pourrait bien finir à la Conciergerie pour quelques-uns.

— Je le sais, » répliqua M. de Réthel.

Mme Rose craignit qu’un projet nouveau ne se cachât sous l’apparente tranquillité de cette réponse.

« Ainsi, dit-elle, vous consentiriez à coucher en prison, à subir la flétrissure d’un jugement ?

— Oh ! reprit M. de Réthel, on peut toujours ne pas être pris vivant.

— Ah ! s’écria Mme Rose avec élan, on peut surtout ne pas chercher dans le suicide un refuge contre une folie ! J’ai toujours été votre amie fidèle, j’ai donc bien le droit de vous donner un conseil, et peut-être me devez-vous de l’écouter. »

Toute la feinte gaieté du comte était tombée. Il se promenait par la chambre inquiet et le regard fiévreux ; mais à la voix de sa femme il s’arrêta court, et avec la courtoisie d’un gentilhomme il s’inclina devant elle.

« Parlez, dit-il.

— Vous pouvez partir, reprit-elle, et changer contre le repos cette vie d’angoisse et d’agitation…. Vous pouvez assurer ma tranquillité, et je vous la demande…. Ce que j’ai suffira amplement à tous nos besoins ; ce sera comme une nouvelle existence que vous commencerez, et peut-être y trouverez-vous plus de douceur que vous ne le pensez. Essayez de la patience et de l’isolement. Il est digne de votre courage de le tenter. »

Mme Rose parlait avec une singulière animation. Elle avait cette éloquence que donnent la conviction et le dévouement ; tout suppliait en elle, le regard, la voix, l’accent, et ce rayonnement des traits qu’aucune expression ne peut rendre. Le visage de M. de Réthel s’attendrit.

« Mais pour partir, encore faut-il un passe-port, dit-il. Qui me le procurera ?