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par une chaîne de montagnes courant presque parallèlement à la mer, — les monts Youmah, — sont habités par des tribus parlant des idiomes alliés à celui du peuple barman. D’autres langues de la même famille, telles que le laos, ont été peu à peu repoussées du nord-ouest de la presqu’île trans-gangétique par les populations conquérantes sorties de cette race belliqueuse des Barmans qui opposait récemment une résistance si énergique aux Anglais. C’est à leur race qu’appartiennent les populations les plus sauvages de l’Assam, telles que les Singphos et les Manipouris. La langue et le type physique de ces tribus ne laissent aucun doute à cet égard. Le thibétain n’est lui-même qu’une modification, qu’une altération des langues de la famille monosyllabique à laquelle appartiennent les dialectes assamais : c’est ce que nous montrent les idiomes de plusieurs tribus de l’Assam et de l’Aracan, par exemple celui des Nagas et celui des Youmahs, qui servent de passage du barman au thibétain. Les populations plus ou moins barbares répandues au nord-ouest de la presqu’île transgangétique ont tous les caractères de la race que l’on a appelée jaune. Évidemment c’est chez elles qu’il faut aller chercher le type sauvage de la famille chinoise.

Le thibétain, quoique se rattachant à la famille monosyllabique, est certainement la langue qui en garde le moins la physionomie, et par bien des traits il se rapproche des idiomes dravidiens. Il se distingue du barman par ses combinaisons de consonnes particulières, dont l’effet vocal est plus doux et plus amolli ; mais on y retrouve les nombreuses aspirations et les nasales du chinois et du barman. En comparant les monumens de l’ancienne langue barmane et ceux de l’ancienne langue thibétaine, on voit que jadis ces langues avaient une âpreté dont le thibétain garde encore aujourd’hui des traces incontestables, car, malgré ses combinaisons de consonnes adoucies, il est au fond complètement dépourvu d’harmonie. Des particules placées après les mots en modifient le sens, et l’ordre de ces mots est toujours inverse de ce qu’il est dans nos idiomes. De là l’apparition dans le thibétain et surtout dans le barman des premiers linéamens du procédé d’agglutination. On y peut construire des phrases composées de mots disjoints, liés seulement entre eux par la vertu ou faculté rétroactive d’un mot final, et c’est ainsi que ces langues parviennent à rendre les idées de temps les plus compliquées[1]. Du reste, quel que soit le développement que plusieurs des idiomes de la péninsule transgangétique ont pris par un effet de leur évolution successive, ils n’en sont pas moins tous d’une extrême simplicité. Le barman est le plus élaboré de toute la famille, tandis que le chinois et la langue de l’empire d’Annam le sont fort peu. Sous le rapport du système vocal au contraire, le thibétain et le barman restent à peu près au niveau du chinois, et c’est dans le midi de la presqu’île transgangétique qu’il faut aller chercher des articulations plus développées, s’exerçant pourtant toujours sur un petit nombre de sons monosyllabiques.

On voit que, malgré leurs caractères communs, les langues monosyllabiques

  1. Le barman est, notamment sous ce rapport, d’une grande richesse. Une suite de noms propres y peut être traitée comme une unité et prendre à la fin la marque do du pluriel, qui porte alors sur l’ensemble ; de même une succession de substantifs est susceptible de prendre le pluriel indéfini mya.