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à la famille souahili-congo, possèdent un système de vocalisation, autrement dit une phonologie puissante, parfois même une disposition presque rhythmique, qui leur ont valu de la part de quelques philologues le nom de langues allitérales. Il est à remarquer d’ailleurs que le développement grammatical des langues africaines ne correspond pas au degré d’infériorité intellectuelle attribué d’ordinaire aux peuples de l’Afrique. Toutes, jusqu’aux langues hottentotes, dénotent un développement assez avancé de la faculté du langage, et par conséquent des facultés réflectives dont celle-ci est la manifestation. Quand nous mettons ces idiomes si riches en formes verbales, et qui distinguent le duel et souvent deux pluriels, en regard des idiomes monosyllabiques parlés par une race pourtant bien autrement intelligente, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer combien le génie grammatical est différent de l’aptitude à la civilisation, et nous sommes frappé davantage de cette vérité qu’on ne saurait trop répéter : c’est que les individus, comme les races, sont plus divers qu’inégaux ; nul n’a le droit de se croire absolument supérieur, car la supériorité ne se retrouve jamais sur tous les points chez un même individu et chez une même race. Le plus infime demeure encore à certains égards très supérieur à ceux au-dessous desquels il paraît de prime abord être si bas placé. Telle est la pensée qui a inspiré à M. A.-F. Pott son récent ouvrage sur l’Inégalité des races humaines considérée sous le rapport linguistique. L’auteur y passe en revue les derniers résultats de la philologie comparée, et revendique, en faveur des races même les plus maltraitées sous le rapport des aptitudes, un droit égal à l’intelligence, dont les ingénieux procédés de leur langue sont un irrécusable témoignage.

Nous avons saisi certaines affinités entre les langues de l’Afrique et celles de la Polynésie ; cette analogie nous étonne moins quand nous reconnaissons que depuis Madagascar jusqu’aux îles Marquises et aux îles des Amis règne une seule famille de langues que l’on a désignée sous le nom de malayo-polynésienne. Cette famille se décompose en deux groupes : le groupe malais, comprenant un ensemble d’idiomes parlés depuis l’île de Madagascar jusqu’aux îles Philippines, et le groupe-polynésien proprement dit. Le malgache ou langue de Madagascar sert comme de chaînon entre le groupe malais et les idiomes de la famille souahili-congo, avec lesquels il a de nombreuses affinités.

Même inégalité de développement parmi ces langues que dans les idiomes des familles précédentes. Tandis que le malais dénote un degré avancé de culture, les idiomes de la Polynésie offrent une simplicité toute primitive ; ils ont rétréci leur système phonétique dans des limites fort étroites, et emploient des moyens matériels et des formes assez pauvres pour marquer les catégories grammaticales. C’est à l’aide de particules souvent équivoques que ces langues tâchent de donner de la clarté au discours, composé du reste d’élémens rigides et invariables. La structure des mots polynésiens est beaucoup plus simple que celle des mots malais ; la syllabe ne peut être terminée par une consonne suivie d’une voyelle, ou n’est formée même que d’une seule voyelle. Ces langues sont en outre privées de sifflantes, et elles tendent à aplanir les consonnes homogènes et à faire disparaître celles qui ont une individualité trop prononcée. Il semble donc que les langues polynésiennes résultent de l’altération graduelle des langues malaises, beaucoup plus énergiques