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« Oh ! oui, je t’embrasserai ! s’écria Georges qui prit l’enfant dans ses bras. Va ! je n’aurais qu’un morceau de pain qu’il serait pour toi ! »

Après qu’il eut assez mangé la petite Jeanne de baisers, Georges la laissa tout étonnée au milieu du chemin, et prit sa course, serrant ses deux mains sur sa poitrine, contre laquelle il pressait le portrait.

« Enfin j’ai quelque chose d’elle, donné par elle ! » disait-il ivre de joie.

Lorsque Georges arriva le lendemain à Paris, une sourde agitation régnait dans la ville. Valentin, qu’il rencontra, lui dit qu’il courait mettre son uniforme, et qu’on craignait des troubles pour la journée. Georges passa chez lui ; on n’y avait vu personne. Il sortit et remarqua des groupes qui se formaient çà et là. Deux heures après, le tambour battait le rappel dans toutes les rues, et les boutiques se fermaient précipitamment. Un régiment de ligne défilait silencieusement sur les boulevards. Il entendit des cris au loin, et ne douta plus que le mouvement dont M. de Réthel lui avait parlé ne fût au moment d’éclater. Il retourna dans son appartement de la rue de Clichy, et attendit plein d’anxiété.

Il n’y était pas depuis une heure, que Mme Rose entra tout à coup.

« Ce n’est pas moi que vous attendiez, je le sais, dit-elle ; quelques mots de Canada m’ont tout appris…. Je viens pour sauver M. de Réthel, et vous m’y aiderez. »

Georges lui serra la main.

« Je ne vous remercie pas, reprit-elle ; vous m’avez dit que je pouvais compter sur vous, et j’y compte. »

Jamais M. de Francalin ne lui avait vu un regard si ferme et l’expression du visage si résolue. Elle s’assit près de la fenêtre et regarda dans la rue.

« Dans une heure, avant même, il sera ici, continua-t-elle ; il faut que dans une heure tout soit prêt pour notre départ. »

Georges devint pâle à ces mots.

« Bien, dit-il, tout sera prêt. »

Mme Rose se leva par un mouvement spontané, et lui jeta les bras autour du cou.

« Embrassons-nous, mon ami, dit-elle d’une voix dans laquelle tout son cœur palpitait, et maintenant que le passé soit mort entre nous…. Un homme est en péril ; je suis sa femme, pensons à lui.

— Que faut-il faire ? » demanda Georges.

Mme Rose lui apprit alors que le mouvement projeté avait échoué par l’hésitation de ceux qui l’avaient commencé ; on ne manquerait pas d’en poursuivre les principaux instigateurs, et M. de Réthel était gravement compromis.

« Il faut donc qu’il quitte la France, poursuivit-elle ; mais pour