Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/926

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

graduelle des langues, l’emploi des cas, tandis que les prépositions remplacent ceux-ci lorsque la langue s’altère et se simplifie. Les cas ne sont en effet que le résultat de l’accollement de la postposition aux mots. La marche organique de la déclinaison se présente donc dans l’évolution des langues de la manière suivante : d’abord le radical, ordinairement monosyllabique ; puis le radical suivi des postpositions, correspondant à la période d’agglutination ; le radical soumis à la flexion, correspondant à la période ancienne des langues indo-européennes ; enfin la préposition suivie du radical, correspondant à la période moderne de ces mêmes langues. Il est à noter que la post-position ne revient jamais après la préposition, pas plus que les dents de lait ne repoussent chez le vieillard après la perte des molaires.

Voilà donc l’âge des langues finnoises et du basque fixé ; c’étaient des idiomes d’une organisation analogue, et dont l’arrêt de développement annonce un assez faible degré de puissance intellectuelle[1]. Les frères des Aryas et des Iraniens, en pénétrant en Europe, n’eurent donc à combattre que des populations qui vivaient dans un état analogue à celui où nous trouvons les hordes de la Sibérie, des espèces d’Ostiaks ou de Vogouls, de Tcherémisses ou de Mordvines. Avec leur supériorité intellectuelle, les peuples venus de l’Asie occidentale n’eurent pas besoin de l’avantage du nombre pour soumettre ces tribus barbares, auxquelles ils se mêlèrent sans doute bien souvent, mais dont ils constituèrent l’aristocratie. Cet esprit guerrier et hautain des conquérans asiatiques se conservait surtout chez les Germains, et on le retrouve chez les Latins et chez les Grecs.

Qu’on ne croie pas cependant que, sous l’influence du voisinage que leur créaient les nouvelles migrations, les tribus de souche finnoise rejetées au nord-est de l’Europe et les peuplades ibériennes repoussées au sud-ouest soient demeurées complètement stationnaires. Leurs langues nous disent le contraire, car ces langues se sont perfectionnées ; seulement ce perfectionnement n’a pu dépasser certaines limites. Le finnois, parlé en Finlande, s’est rapproché des langues à flexion, mais jamais il n’a pu atteindre à ce degré de force, de clarté et d’énergie qui fait le mérite de nos idiomes indo-européens.

Sous le rapport des sons, malgré leur homogénéité, les langues finnoises, ou, pour les qualifier plus exactement, les langues ougro-tartares, varient beaucoup. Il y en a de très douces comme le suomi, et d’assez rudes comme le magyar ; mais un principe d’harmonie les domine. Ce principe est surtout sensible dans le suomi. Cet idiome en effet paraît rechercher la douceur et l’euphonie ; il évite par conséquent les radicaux monosyllabiques et attache au radical presque toujours une voyelle finale qui ne porte pas d’accent ;

  1. L’étude du vocabulaire des langues finnoises, et même de celui des langues tartares, nous prouve que ces populations manquaient d’une foule de connaissances que nous rencontrons dès l’origine chez les populations indo-européennes, et qu’elles durent plus tard leur emprunter. Par exemple, le nom du sel est, dans tous les idiomes de cette famille aussi bien qu’en hongrois, exprimé par un dérivé du nom sanskrit, grec et latin. On sait en effet que l’usage du sel demeura longtemps inconnu aux habitans du nord de l’Europe, et que Christiern II, roi de Danemark, avait gagné les paysans suédois en leur apportant ce précieux condiment.