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d’idiome euskarien s’est jadis étendue des Alpes jusqu’à l’extrémité occidentale de l’Espagne, et s’est avancée jusque dans les îles de la Méditerranée. Ces peuples, ce sont les Ibères, et le basque est le dernier débris de leur langue. Les travaux de l’habile philologue de Beziers, M. Boudard, ont achevé de mettre ce fait en lumière[1]. Les Celtes rencontrèrent donc devant eux les Ibères, qu’ils repoussèrent au midi de la Gaule, où nous les trouvons établis au temps de César ; ils se mêlèrent à eux en Espagne, ainsi que nous l’apprend le nom de Celtibérie, et très certainement aussi dans le Languedoc et l’Aquitaine. Nation vive et impressionnable, vaine et remuante, les Ibères pourraient bien avoir infusé dans le sang celle cet élément de mobilité et de légèreté qu’on retrouve chez les Gaulois, mais qui est étranger au caractère du Celte, si attaché à ses traditions et si entêté de ses idées.

La langue basque, ou mieux la langue ibérienne, ne ressemble en rien aux idiomes indo-européens. C’est par excellence une langue polysynthétique, une langue dont l’organisme rappelle d’une manière assez frappante celui des idiomes du Nouveau-Monde. Elle compose de toutes pièces le mot idée et supprime souvent des syllabes entières dans cette œuvre de composition, ne conservant parfois qu’une seule lettre du mot primitif. Elle présente ces particules adjonctives que les philologues nomment postpositions, et qui servent à distinguer les cas. C’est de la sorte que le basque constitue sa déclinaison. Ce nouveau caractère reparaît dans une autre grande famille de langues dont je parlerai bientôt, les langues tartares, qui appartiennent à l’Asie centrale. Le basque annonce donc un état intellectuel fort primitif chez les peuples qui occupaient l’Europe occidentale avant l’arrivée des Indo-Européens, et s’il était permis de tirer une induction d’un caractère isolé, on pourrait supposer que les Ibères étaient d’une race alliée à la race tartare. Toute hardie qu’elle est, cette hypothèse reçoit un nouveau degré de vraisemblance de l’étude du second groupe des langues européennes étrangères à la souche indo-germanique, le groupe finnois.

Ce groupe n’est pas borné à quelques idiomes du nord-est de l’Europe, il s’étend sur tout le territoire de la Russie septentrionale jusqu’à l’extrémité du Kamtchatka. La comparaison des nombreux idiomes que parlent les tribus répandues dans la Sibérie a révélé entre eux un lien commun et de grammaire et de vocabulaire. Ces langues, que l’on peut comprendre sous le nom générique de flnno-japonaises, du nom de celles qui occupent sur la carte les extrémités de leur chaîne, offrent ce même caractère d’agglutination qui vient d’être signalé dans le basque, mais à un moindre degré. Elles font usage de ce curieux système des postpositions qui appartient aussi à l’ancien idiome des Ibères. Les terminaisons destinées à représenter les cas sont remplacées par des prépositions distinctes du mot, lesquelles, dans nos langues, précèdent au contraire les mots dont elles modifient le cas. Il est à noter que l’apparition de ces postpositions devance toujours, dans la formation

  1. M. Boudard est le premier qui ait en France appliqué les procédés de la philologie comparée à l’étude de l’ibère, dont il a poursuivi les vestiges aussi bien dans le basque que sur les monnaies et dans les noms de lieux ; il a achevé de démontrer que l’ibère était non-seulement parlé dans l’Ibérie, mais encore dans la Bétique et la Lusitanie, c’est-à-dire dans toute la péninsule hispanique.