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ferrer ; au retour, on trouvait l’opération faite. Le maréchal mystérieux, Wayland-Smith, comme on l’appelait, s’était payé avec la pièce de monnaie, et l’on pouvait reprendre sa monture. Dans quelques cantons de l’Allemagne, on racontait des histoires analogues ; le nom seul du forgeron invisible changeait, et l’imagination brodait sur le fond commun des détails particuliers.

Wieland, que l’on nomme encore Grikenschmied, est associé en certains lieux à un taureau qui rappelle celui que Dédale fabriqua pour satisfaire la passion honteuse de Pasiphaé, et en effet, dans le Rig-Véda, Twachtri est chanté comme celui qui façonne tous les animaux. Pasiphaé est l’épouse de Minos, dont la tradition hellénique fait un roi de Crète, mais qui se retrouve à la fois chez les Aryas et chez les Germains. Chez les premiers, il porte le nom de Manou, ou mieux Manus. C’est un roi législateur, il a pour frère Yama, le roi des morts. Le Minos de Crète a de même pour frère Rhadamanthe. Ce dernier, ainsi que Yama, est représenté une baguette à la main, il juge dans les enfers. Chez les Germains, Manus s’appelle Mannus ; c’est aussi un ancien roi qui, de même que le Manou indien, est l’Adam, le premier auteur de la race humaine.

En présence de rapprochemens aussi concluans, il est impossible de supposer simplement qu’une population de même race et d’un même fond de langage fût répandue, dans le principe, depuis l’Inde et la Perse jusque dans la Bretagne et l’Irlande ; il faut nécessairement reconnaître que des peuples venus de l’Asie ont apporté en Europe leurs idiomes et leurs traditions. Faut-il admettre que cette partie du monde n’était point encore peuplée, et que les tribus asiatiques qui prirent la tête de ce long défilé de conquérans ne trouvèrent devant eux que des solitudes ? C’est encore l’étude des langues qui va nous répondre.

J’ai dit que presque tous les idiomes de l’Europe appartiennent à la souche indo-européenne. Trois groupes, ou, si l’on veut, trois langues, font seulement exception, sans parler, bien entendu, du turc, à peine implanté en deçà du Bosphore, et dont l’introduction ne date que de quelques siècles, sans comprendre aussi le maltais, unique vestige de la domination sarrasine dans les contrées italiques. Le premier groupe est représenté par la langue basque, ou l’euskari, qui n’embrasse que deux dialectes. Le second est le groupe finnois, qui comprend le lapon, le finlandais ou suomi, et l’esthonien parlé dans l’Esthonie, dans la partie septentrionale de la Livonie et dans les îles d’OEsel et de Dago. Enfin le troisième groupe se réduit au magyar ou hongrois, qui se rattache lui-même au groupe finnois par une parenté indirecte.

Nous savons comment le magyar a été introduit en Europe : c’est la langue des anciens Huns, qui ont, en se mêlant aux populations de la Dacie et de la Pannonie, donné naissance aux Hongrois ; mais nous sommes moins avancés en ce qui touche l’histoire des langues finnoise et basque.

Guillaume de Humboldt, qui s’est livré à des recherches d’un grand intérêt sur la langue basque, a montré que cette langue avait eu jadis un domaine beaucoup plus étendu que le petit coin de terre où elle est actuellement confinée. Des noms de lieux appartenant à la France méridionale, à la Sardaigne, à la Corse, même à la Ligurie, prouvent qu’une population