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ou héroïques se modifient, se transforment même suivant les temps et suivant les lieux ; mais un fonds d’idées communes reste, et c’est ce fonds qui permet de saisir la parenté originaire des croyances. Je pourrais citer une foule de ces fables qui ont couru toute l’Europe depuis l’antiquité, en changeant de costumé, mais en gardant les mêmes traits. Une seule nous servira de spécimen.

L’antiquité grecque a rapporté diverses légendes sur un artisan merveilleux du nom de Dédale, et qui se confond parfois avec le dieu du feu, avec la personnification de la foudre, cet Héphaestos, que nous appelons d’après les Latins Vulcain. Les Aryas adoraient aussi comme un dieu forgeron la foudre personnifiée ; ils l’appelaient Twachtri, et la physionomie de ce personnage a la plus grande analogie avec celle de Vulcain. Twachtri est donné comme l’auteur de toutes les œuvres, parce que le feu est le grand agent de l’industrie humaine et qu’il est ignipotens, pour parler avec Virgile. Et de même que cette divinité avait forgé la foudre de Jupiter et exécuté la coupe dans laquelle les immortels buvaient l’ambroisie, Twachtri avait forgé la foudre d’Indra, le dieu du ciel dans le panthéon védique, et était l’auteur de la coupe divine où l’on versait le soma, qui est à la fois l’ambroisie et la libation. Twachtri a pour assistans ou pour rivaux les Ribhavas, autres artistes divins qui jouent un rôle considérable dans les chants du Véda et dans l’histoire desquels on retrouve une foule de traits communs à la légende hellénique des Cyclopes, des Cabires, des Telchines, et en particulier à celle de Dédale. Or ces mêmes légendes sont recueillies chaque jour ça et là en différens points de l’Europe, dans les lieux les plus éloignés et entre lesquels n’a pu s’opérer un échange d’idées. Le célèbre forgeron Wieland du Vélant, si connu dans les traditions du nord de l’Allemagne, et qui, dans la Scandinavie, est appelé Vœlundr, est un composé de Vulcain et de Dédale, un autre héritier des traditions védiques sur Twachtri. L’aventure si célèbre du héros crétois et de son fils Icare se reproduit avec de légères variantes dans celle de Vœlundr ; le forgeron allemand est aussi enfermé dans le labyrinthe, mais la tradition Scandinave ne place plus en Crète ce merveilleux édifice, le labyrinthe devient une île nommée Saevarstadr. La fable grecque donne à Dédale des ailes pour s’échapper de sa prison ; dans le récit des peuples du Nord, c’est d’une chemise de plumes qu’il se revêt. Son frère Eigil, qui a remplacé Icare, veut éprouver la puissance de ce vêtement emplumé et périt comme le fils de Dédale, victime de son imprudence. Un scholiaste nous apprend que le célèbre voyageur grec Pythéas avait trouvé aux îles d’Éole, aujourd’hui les Lipari, la singulière coutume d’exposer, près du volcan où l’on croyait que Vulcain faisait sa résidence, le fer que l’on désirait voir façonner en quelque arme ou quelque instrument. On laissait pendant la nuit le métal brut ainsi déposé, et le lendemain on retrouvait l’épée ou l’outil fraîchement fourbi. Un usage de ce genre fondé sur une pareille croyance est répandu dans plusieurs contrées germaniques. Ce n’est plus Vulcain, mais Wieland, estropié du reste comme lui, qui est le mystérieux forgeron. Dans le Berkshire, on montrait jadis près du lieu nommé White horse Hill une pierre où, d’après la croyance populaire, il suffisait de déposer un fer à cheval avec une pièce d’argent et d’attacher à côté la bête que l’on voulait