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Plusieurs traits communs les rattachent entre elles ; la variation du son, ce que les Allemands appellent Ablaut ; l’existence de deux formes différentes de verbes et de substantifs, que l’on appelle déclinaisons et conjugaisons fortes et déclinaisons ou conjugaisons faibles[1].

Les langues celtiques ne nous sont malheureusement connues que par des représentans très dégénérés sans doute de cette famille puissante, le gallois ou welche et l’armoricain ou bas-breton, lesquels ne sont en réalité que deux dialectes de la langue kymrique, puis l’irlandais, l’idiome erse ou gaélique, répandu dans la Haute-Ecosse, et l’idiome de la petite île de Man. Nous ne savons presque rien de la langue que parlaient nos pères les Gaulois, mais que le petit nombre de mots qui nous en est resté suffit pour rattacher au même groupe. De toutes les branches de la famille indo-européenne, c’est celle en effet dont les destinées ont été les moins heureuses et les plus bornées. Les langues celtiques sont venues mourir sur les rives de l’Océan, qui opposait une barrière infranchissable aux émigrations nouvelles de ceux qui les parlaient. Envahies par les populations latines ou germaines, les races celtiques ont perdu pour la plupart le langage qui les distinguait, sans perdre pour cela tout à fait le cachet de leur individualité.

L’histoire des langues indo-européennes est, on le voit, le guide le plus sûr que nous puissions suivre pour reconstruire l’ordre des migrations qui ont peuplé l’Europe. Cette communauté de langage qui se découvre sous une apparente diversité serait-elle simplement l’effet d’une communauté d’organisation physique et intellectuelle ? les peuples de l’Europe appartiendraient-ils seulement à ce que l’on pourrait appeler une même formation ? et deviendrait-il alors inutile d’aller chercher en Asie leur berceau commun ? Le fait est en lui-même peu vraisemblable ; mais voici que des rapprochemens d’un autre ordre viennent s’ajouter à ceux que nous ont offerts les langues pour confirmer les inductions tirées des faits précédons. En étudiant les traditions mythologiques contenues dans les Védas et les plus anciens monumens religieux de l’Inde et de la Perse, on a retrouvé une foule de fables, de croyances, de surnoms de dieux et de rites sacrés, dont des variantes se rencontrent dans les légendes et les mythes de la Grèce antique, de la vieille Italie, de l’Allemagne, de la Scandinavie, de la Russie et même de l’Angleterre. C’est seulement depuis quelques années que ces nouvelles analogies ont été mises en lumière, particulièrement dans les publications de deux orientalistes distingués de Berlin, MM. Th. Aufrecht et Adalbert Kuhn. Un des premiers indianistes de l’Allemagne, M. Albert Weber, a aussi contribué pour sa part à ce travail de rapprochement. Des mythes nombreux rattachent entre elles les populations germaniques. Ces mythes ont revêtu chez chacune d’elles une physionomie quelque peu distincte, car tout est mobile et changeant dans le mythe, et chez un même peuple les fables religieuses

  1. Les personnes qui voudront avoir une idée des travaux que Jacques Grimm et son école ont entrepris sur l’histoire des langues germaniques, et dont les résultats ont été si féconds pour la philologie comparée, feront bien de consulter les recherches publiées par M. Adolphe Régnier sur l’histoire de ces langues dans le tome III des Savans étrangers de l’Académie des Inscriptions. L’habile indianiste a porté dans cette matière des lumières nouvelles, grâce à la clarté toute française de son esprit.