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après qu’il eut tiré la petite Jeanne de la Seine. Georges devait partir le lendemain.

Mme Rose regarda les bateaux qui étaient sur la rive.

« Vous souvient-il du jour où je vous aperçus sortant de l’eau ? Etiez-vous pâle ! dit-elle. C’est singulier ! si la petite Jeanne et son frère Jacques n’avaient pas failli se noyer, je ne vous aurais peut-être jamais connu. J’ai fait une petite aquarelle de cette scène. Voulez-vous la voir ?

— Volontiers, » dit Georges, qui trouvait dans cette proposition le moyen de prolonger l’entretien.

On prit aussitôt le chemin d’Herblay.

« Je vous dois bien une peinture en échange d’une autre que vous avez brûlée…. Si la mienne vous plaît, je vous la donnerai, » reprit Mme Rose en baissant les yeux, et toute rouge du souvenir qu’elle évoquait.

Georges lui pressa le bras sans répondre. Quand on fut dans la petite maison d’Herblay et tandis que Georges regardait l’aquarelle, Mme Rose posa sur la cheminée une miniature qu’elle avait tirée d’une boîte.

« Trouvez-vous ce portrait bien ressemblant ? dit-elle. Voyez, je n’y suis déjà plus gaie. »

M. de Francalin poussa un cri. Cette miniature signée d’un nom célèbre rendait admirablement les traits de Mme de Réthel. « C’est le regard, c’est l’expression, c’est la vie, » dit-il.

Au bout de quelques minutes, Mme Rose lui enleva le portrait des mains en badinant. « Laissez cela, reprit-elle, cette peinture ferait tort à mon aquarelle, et c’est pour mon aquarelle que vous êtes venu. »

Georges soupira.

« Vous avez raison ; si je regardais plus longtemps ce portrait, l’envie me prendrait de vous le dérober. »

Il descendait la côte un quart d’heure après, portant le dessin dans un carton, lorsqu’il entendit une voix d’enfant qui l’appelait. Il se retourna et aperçut la petite Jeanne qui courait de toutes ses forces après lui. « Eh ! parrain, arrêtez-vous, » criait l’enfant qui donnait par habitude le nom de parrain et de marraine à Georges et à Mme Rose. La petite Jeanne arriva tout essoufflée ; elle tenait dans sa main une boîte qu’elle présenta à Georges. « Tenez, parrain, reprit-elle, voici une boîte que marraine m’a dit de vous remettre…. Elle veut que vous m’embrassiez et acceptiez la boîte en souvenir de moi…. J’ai bien répété la chose trois fois pour ne pas l’oublier. »

Georges ouvrit la boîte et reconnut le portrait de Mme Rose ; il était entouré d’une bande de papier sur laquelle on lisait ces mots : Si vous vous mariez, brûlez-le ; si je pars, gardez-le.