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langues les débris d’une prétendue langue primitive ; d’autres, comme le fit le baron de Mérian, se bornaient à dresser des listes de mots empruntés à tous les idiomes et réunis par des étymologies arbitraires. L’Europe septentrionale cependant, au début de ce siècle, finit par prendre l’initiative de recherches plus sérieuses, et une fois entrée dans une voie vraiment scientifique, la philologie fit de tels progrès, que le public connut presque en même temps son existence et sa maturité.

En France, on était jusqu’à ces derniers temps demeuré presque étranger à ces découvertes de la linguistique. La philologie comparée n’avait rencontré parmi nous que fort peu d’adeptes. Abel Rémusat, dans ses Recherches sur les langues tartares, en appliqua quelques principes, mais il généralisa peu les résultats qu’il obtint, et la mort l’enleva avant qu’il eût achevé son œuvre. Klaproth ne marchait point encore d’un pas bien sûr dans la voie nouvellement ouverte ; il n’avait pas assez approfondi la grammaire comparée pour s’être familiarisé avec une méthode qui demandait d’abord à être solidement assise, et puis d’ailleurs, quoique habitant la France, il écrivait généralement sur ces matières en Allemand. C’est au-delà du Rhin qu’il faut aller chercher les véritables fondateurs de la science nouvelle : Guillaume de Humboldt, F. Bopp, Jacques Grimm. Leurs ouvrages n’ont malheureusement point encore été traduits en français, et les principes qu’ils ont posés n’ont guère pu se répandre hors de leur pays. Parmi nos érudits, un seul, Eugène Burnouf, entra en même temps qu’eux dans cette voie d’études et fut conduit aux mêmes doctrines ; mais la nature spéciale de ses travaux empêcha nos philologues de s’initier aux méthodes et aux idées dont il avait si habilement saisi l’esprit. L’indifférence commence aujourd’hui à se dissiper, et on se montre moins antipathique à des procédés dont le premier tort, aux yeux de certaines personnes, était de venir d’Allemagne. Quelques savans se sont franchement consacrés à cette nouvelle branche de nos connaissances. Une chaire destinée à naturaliser chez nous les fruits de la science exotique a été créée à la Sorbonne. En attendant que l’esprit français se familiarise avec l’étude des langues ainsi comprise, l’Allemagne reste la patrie par excellence de la philologie comparée, qui a pris depuis longtemps place dans le programme de ses universités. Les élèves se pressent autour des initiateurs ; des ouvrages où les principes généraux sont exposés et appliqués se comptent déjà par centaines au-delà du Rhin ; des journaux réservés spécialement à la science nouvelle ont été fondés, et, chose plus remarquable, ils trouvent des abonnés. On se partage la tâche, et sur ce sol, qui, malgré sa richesse, offre encore tant de landes et de fondrières, chaque étudiant fait choix d’une parcelle qu’il défriche pour devenir producteur à son tour.

Ce qui constitue le fondement et tout à la fois l’objet de la philologie comparée, c’est la reconstruction du travail mental d’où sont sorties les langues et qui a présidé à leurs variations. Cette science poursuit deux ordres d’études. Dans le premier, elle refait l’histoire intérieure, interne, d’une langue ou d’une famille de langues. Dans le second, elle dresse une classification des langues connues, compte les familles et détermine à laquelle chacune d’elles appartient, puis scrute les affinités qui lient ces familles entre elles.