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— Je le devrais, » répondit Mme Rose.

Ce mot si simple désarma M. de Francalin ; il prit la main de Mme Rose et la baisa.

« Oh ! je vous la laisse à présent, reprit-elle ; n’êtes-vous pas son ami ? »

Georges comprit tout ce qui se passait dans cette âme si chaste et si ferme. Le séjour de M. de Réthel à Herblay et à la Maison-Blanche avait créé entre Mme Rose et lui des relations dont la pensée même du péril était écartée par la confiance.

« Maintenant que je vous connais mieux, dit-il, si j’avais pu vous obéir quand vous m’avez envoyé à Beauvais, je ne vous aurais pardonné jamais. »

Mme Rose sourit.

« Oh ! je pensais bien que vous ne vous marieriez pas, répondit-elle.

— Et si cependant je l’avais fait ?

— Eh bien ! j’aurais prié pour vous dans un coin de l’église, et vous ne m’auriez plus revue. »

Georges réfléchit un instant.

« Et si, par impossible, M. de Réthel revenait à vous, guéri de cette fièvre qui le ronge ? » reprit-il.

Mme Rose le regarda bien en face.

« Répondez vous-même ; que devrais-je faire ? Dit-elle.

— Le suivre et m’oublier, répondit Georges avec effort.

— Donnez-moi votre main, Georges ; je le suivrai et ne vous oublierai pas. »

Mme Rose lui raconta qu’elle avait failli la veille se rendre à la Maison-Blanche ; deux fois elle avait traversé la rivière pour le faire. La crainte de compromettre M. de Réthel l’avait retenue ; mais elle ne se croyait pas dégagée par le départ du comte, et elle était résolue à tout tenter encore pour l’arracher de l’abîme. « J’ai eu ces derniers jours une lueur d’espoir, dit-elle ; sa fuite ne l’a pas éteinte. »

Ces entretiens se prolongèrent pendant trois jours. Georges et Mme Rose revirent ensemble les mêmes lieux qu’ils avaient parcourus si souvent. Les fleurs avaient succédé à la neige, mais ce sourire de la nature n’avait point de reflet dans leur cœur. Il y avait entre eux plus d’intimité et moins d’expansion. Ils étaient tout à la fois unis et séparés. Tambour, qui s’étonnait de n’avoir plus de lettres à cacher dans sa fourrure, égayait ses loisirs par de nouvelles luttes contre le taureau noir, quelque temps négligé. On ne voyait plus Canada que par intervalles. Quand il ne maraudait pas sur la rivière, y cherchant quelque canot à perdre pour le sauver, en fouillant dans son lit pour y trouver des pierres et du sable, et çà et là quelques débris de cargaisons naufragées, le pêcheur était à Paris. Ces absences inquiétaient Mme Rose, qui prévoyait une catastrophe.

Un soir, c’était le jeudi, Georges et Mme Rose se promenaient sur la route où pour la première fois M. de Francalin l’avait vue, peu d’instants