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entré victorieux dans Vienne, à peine défendue pendant quelques heures. La monarchie autrichienne n’avait plus de capitale ; elle n’avait plus qu’un camp couvert par le Danube. On parla bientôt de sa fuite nécessaire dans les montagnes du Tyrol, où elle allait, disait-on, rencontrer les récens débris de ses troupes battues sur l’Adige.

Ces nouvelles se redisaient avec plus de stupeur que de joie, car les derniers réappels sur les conscriptions antérieures à 1809[1] désolaient un grand nombre de familles, et on remarquait dans les deux grandes écoles de la capitale et jusque dans les lycées[2] des vides déplorables. Il semblait que la grandeur et la rapidité des succès ne faisaient que rendre la guerre plus dispendieuse de sang et hâter l’échéance des sacrifices incessamment demandés à la nation.

Bientôt un terrible événement vint confirmer cette crainte publique et montrer combien ces succès mêmes étaient voisins des revers et mêlés de calamités qu’un hasard de plus pouvait rendre fatales. La presse française, surveillée déjà de si près, gardait sur les mouvemens d’Allemagne et d’Italie un silence sans réflexions, sans nuls détails, dans l’intervalle des bulletins qui annonçaient la prise de Vienne et le passage du Danube. Les suites même de ce passage, les deux terribles journées d’Essling n’apparaissaient dans ces bulletins que comme d’immenses victoires de l’armée française ; mais à cette époque, malgré la police et le blocus, les journaux anglais, à la faveur des licences commerciales, pénétraient encore en France, et le patriotisme même, le zèle national le plus sincère y cherchait parfois la vérité qu’on lui refusait ailleurs.

Leur langage durant le mois de mai 1809 n’attestait que trop le rapport d’intérêt et de passion qui rapprochait l’Autriche de l’Angleterre, et il faut reconnaître aussi que les événemens alors imminens sur le Danube, la courageuse résolution de l’Autriche et la grandeur de ses ressourcées étaient habilement pressentis ou jugés dans ces feuilles anglaises. C’était le bon sens de la liberté. Tories ou whigs comprenaient également ce qu’il y avait de force vitale et de ténacité dans cette vieille aristocratie germanique, comment elle pouvait abandonner Vienne sans perdre l’empire, se battre en reculant,

  1. Napoléon voulut porter à 100,000 hommes la contribution annuelle de la population, ce qui, en revenant en arrière, l’autorisait à demander un supplément de 20,000 hommes à chacune des classes antérieures. Cet appel avait l’avantage de lui procurer des jeunes gens bien plus robustes que ceux qu’il levait ordinairement, puisqu’ils devaient avoir vingt, vingt et un vingt-deux, vingt-trois ans, tandis que ceux de 1810 ne comptaient qu’environ dix-huit ans. (M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, tome 10, page 30.)
  2. Napoléon voulut même choisir dans chaque lycée, où ne se trouvaient que des adolescens, dont les plus âgés avaient de seize à dix-sept ans, ceux qu’un développement précoce rendait propres à la guerre, au nombre de dix par établissement. {Ibid., page 40.)