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sont à m’attendre sur la route, dit-il. Les mais ont cru que le coup était pour demain. Ils ne savent pas leur métier. Quand ils verront que rien ne bouge, ils se tiendront tranquilles, et l’émeute fera explosion. Priez Dieu seulement que nous ne réussissions pas ! »

Georges regarda M. de Réthel avec étonnement.

« C’est vous qui parlez ? vous ! Dit-il.

— Eh ! oui, c’est moi, et je parle ainsi, parce que je les connais mieux que vous, ces gens avec qui je marche ! Ah ! quelle race ! Les imbéciles même sont mauvais, jugez des autres !

— Mais alors, puisque vous les connaissez si bien, pourquoi rester avec eux ?

— Pourquoi ? Ah ! voilà la grande question, s’écria le comte en frappant du pied. On est dans un courant, on suit le flot. Le pas qu’on a fait la veille est la cause du pas qu’on fait le lendemain, et on va jusqu’au bout. Si je m’arrêtais à présent, on dirait que j’ai peur ou que je me suis vendu, que sais-je ? Et je marche. La queue pousse la tête !

— Si j’osais, je vous adresserais bien une question, monsieur le comte, dit Georges avec une certaine hésitation.

— Une question ? Je la lis dans vos yeux. Cela vous surprend que moi, de race noble, un privilégié de la naissance, comme ils disent, un aristocrate enfin, j’aie pu descendre jusqu’à cet enfer. Si je vous disais quel misérable motif m’y a poussé, vous ne me croiriez pas. Moi aussi, j’ai voulu faire un peu de bruit. Vous vous souvenez de M. de Mirabeau, marchand drapier, élu député par le tiers état ; j’ai marché sur ces vieilles brisées. Un auditoire de quelques centaines de mais m’a applaudi, cela m’a grisé. Je m’étais endormi membre de l’opposition, je me suis réveillé démocrate, révolutionnaire, que sais-je ? La pente est si rapide, et la vanité a le pied si complaisant pour glisser ! »

Un amer dédain crispait les lèvres de M. de Réthel.

« Ah ! reprit-il, le mieux est de n’y plus penser.

— Non, répondit Georges avec force, le mieux serait d’y penser pour en finir…. Je ne comprends pas pourquoi, ayant l’énergie que je vous suppose, vous ne rompriez pas brutalement avec votre entourage.

— Et le puis-je ? s’écria le comte. Tenez, je m’étais réfugié à Herblay le cœur plein de dégoût…. Chose étrange ! je m’obstinais à ne pas entrer dans l’exécution des projets qu’on me présentait…. C’est alors qu’on se souvient de moi pour me traquer. À présent, mon acceptation est partie avec Canada, et je ne le regrette pas. J’en veux à tout le monde de mon insuccès et de ma sottise. Il y a des bouillonnements de colère et de haine dans mon cœur quand je vois