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du feu, dans le même grand fauteuil que Mme Rose avait occupé. Il regardait la flamme et battait la mesure sur la table d’un air distrait. Ce silence permit à Georges de l’observer. M. de Réthel, qui paraissait avoir trente-cinq ans, et qui était grand et sec, avec des yeux très-beaux, noirs comme de l’encre, mais fatigués, avait alors la physionomie contractée et comme éclairée par un sourire amer. Son front, qui commençait à se dégarnir vers les tempes, et son visage, coupé de profondes rides, exprimaient mille sentiments divers que la colère et le dédain dominaient tous. Il était d’une pâleur extrême : mais cette pâleur était animée et vivante, et indiquait moins la maladie que l’inquiétude et les accès d’une passion réveillée en sursaut. Le comte avait un grand air et des manières pleines d’aisance, où se mêlait par intervalles quelque chose de débraillé et de violent qui trahissait le gentilhomme déchu. Ce n’était déjà plus l’homme que M. de Francalin avait rencontré chez Mme Rose ; c’était un chef de parti en proie à toutes les agitations. Il releva tout à coup la tête.

« J’ai des excuses à vous faire, dit-il, pour le sans-façon avec lequel je me suis introduit chez vous. Il n’y avait pas à hésiter : un mandat d’arrêt a été lancé contre moi : demain on voudra le mettre à exécution, mais il sera trop tard. Tandis qu’on surveille la route et la station du chemin de fer à Maisons, je suis ici, et certes ce n’est pas chez M. de Francalin qu’on viendra chercher le mari de Mme Rose. »

Georges fit un mouvement.

« Cela vous étonne, ce que je dis là ? reprit Olivier ; mais c’est précisément parce que je sais, avec tout le monde, que vous aimez Mme Rose, que je me suis réfugié à la Maison-Blanche. Là seulement je n’ai rien à craindre.

— Mais, monsieur, s’écria Georges, parler de sentiments dont je ne vous dois pas l’aveu, c’est offenser celle de qui vous venez de prononcer le nom. Sachez que, si je les éprouve, mon respect les égale tout au moins.

— Qu’est-ce ? répliqua M. de Réthel avec un air de hauteur. Me feriez-vous gratuitement cette insulte de supposer que je serais dans cette maison, si j’avais eu la sottise ou la lâcheté de soupçonner Mme de Réthel un instant ? Ah ! monsieur, vous ne le pensiez pas !… Je vous estime parce que Mme de Réthel vous aime. »

Ce dernier mot laissa M. de Francalin sans réponse.

« Oui, monsieur, poursuivit Olivier, cela m’a donné de votre caractère une opinion que vous méritez certainement. Si vous pouviez apprécier comme moi ce que vaut Mme de Réthel, vous me comprendriez. »

Un coup de vent ébranla les volets, et la pluie frappa les vitres à flots. M. de Réthel se mit à rire.

« Je plains les pauvres diables qui