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d’un prince dont il avait été le compagnon d’enfance. La puissance temporelle enivrait les rois ; ils en étaient venus à mépriser la pauvreté des brahmanes. Drona se retira donc à Hastinapoura, et bientôt lui fut confiée l’éducation des jeunes princes des deux branches de la famille royale : le poète a soin de noter que le vieux Bhîchma, après avoir reçu le brahmane avec beaucoup d’égards, le combla de richesses. Les élèves de Drona firent de rapides progrès dans le maniement des armes, et le moment ne tarda pas à arriver où il lui parut convenable de les faire paraître tous, Kourous et Pândavas, dans une espèce de tournoi. Le roi aveugle, consulté par le précepteur des jeunes princes, prononça ces paroles empreintes de tristesse et de résignation :

« Choisis le temps qui te semble convenable et aussi dans quel lieu doit se passer la fête, dispose tout comme tu l’entendras, je suis à tes ordres. — Je porte envie, en ce jour, par suite de mon infirmité, aux hommes qui ont des yeux, et qui verront à l’occasion du maniement des armes se déployer la grande énergie de mes fils et de mes neveux[1] ! »

Le théâtre a été bientôt construit ; il est de forme ronde, entouré de gradins, sur lesquels les hommes et les femmes de qualité seront mollement assis. Le souverain aveuglé, accompagné de ses ministres, de sa fidèle épouse Gândhâri et de ses autres femmes, monte les degrés du pavillon royal. Brahmanes et guerriers, marchands et gens du peuple, se précipitent à l’envi dans ce cirque immense ; les instrumens de musique résonnent avec un bruit joyeux : c’est un sourd murmure et une vague clameur pareils au bruissement de la mer retentissante. Tout au milieu de l’arène paraît, seul d’abord, le précepteur Drona, à la blanche chevelure, à la barbe blanche, vêtu de blanc, « semblable à l’astre aux mille rayons qui se lève sur un ciel sans nuages. » Il dirige le sacrifice que les autres brahmanes viennent accomplir ; le jour a été déclaré propice, les prêtres ont inauguré cette grande solennité, et les guerriers peuvent entrer dans l’arène.

Les voilà qui s’avancent comme une escadrilla de toreadores dans un cirque espagnol. Le carquois sur l’épaule[2], l’arc au poing, les Pândavas se présentent ; ils marchent par rang d’âge ; et Youdhichthira tient la tête. D’abord ils lancent des flèches dont le sifflement aigu fait involontairement frissonner les spectateurs. Ceux-ci baissent la tête comme pour éviter le trait ; ceux-là regardent avec admiration, tenant leurs yeux tout grands ouverts. Puis les héros combattent

  1. Mahâbhârata, chant de l’Adiparva, lect. 134, vers, 5,316.
  2. Ou plutôt les deux carquois ; les Aryens portaient deux carquois, sans doute parce qu’ils employaient deux principales espèces de flèches, les unes terminées par une pointe de fer, les autres armées d’un croissant.