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des parties demeurées saines pour guérir les parties malades, tel est le principe de la thérapeutique mentale. Il y a dans les facultés humaines une tendance naturelle à s’équilibrer et à s’accorder. Cet équilibre, il est vrai, peut se faire au profit de la folie, mais il peut se faire aussi au profit de la raison, En faisant peser toutes les influences de ce côté, la science fait contre-poids aux égaremens de la nature, trop heureuse lorsqu’elle l’emporte !

On a cru longtemps, beaucoup de personnes croient encore que la folie est incurable. Ce préjugé est un des obstacles les plus funestes à la guérison des maladies mentales. On attend, pour isoler les malades, pour les confier aux médecins, qu’ils soient devenus dangereux ; mais on perd souvent de cette manière un temps précieux, car la durée de la maladie influe considérablement sur les chances de la guérison. Que l’on en juge par les proportions suivantes : à Stéphansfeld, dans une période de douze ans, 66 pour 100 d’aliénés curables ont été guéris dans le premier mois, 48 pour 100 après trois mois, 40 pour 100 après six mois, 12 pour 100 après un an. Au-delà, la guérison n’est plus qu’une exception[1]. On voit dans quelle progression rapide les chances de la guérison décroissent en raison inverse du temps. Tout ce qui retarde le traitement, préjugé, fausse honte, indifférence, ne fait donc qu’aggraver la folie. L’opinion que la folie est incurable est une de ces causes de retard et d’ajournement : elle est donc un obstacle sérieux à la guérison. Elle est encore, après la guérison même, une des causes de rechute. Un aliéné rentre dans sa famille, retrouve ses occupations, ses connaissances, ses amis ; mais on l’emploie avec répugnance, on ne sefait pas, faute de le railler sur son état : on lui répète qu’il a été fou, qu’il le sera encore. Au lieu de la bienveillance et de la prudence extrême dont on use envers lui dans l’asile, il ne rencontre souvent, même parmi les siens, que défiance et grossièreté. Voilà ce qui arrive souvent dans les classes inférieures. Faut-il s’étonner que la raison succombe de nouveau sous l’influence de ces causes irritantes qui rendraient fou un homme raisonnable ?

La honte qui s’attache à la folie, même guérie, la difficulté que trouve un aliéné à se refaire sa place dans une société qui a serré ses rangs pendant son absence, souvenir douloureux d’une affection qui enlève l’homme à lui-même et lui ôte le titre essentiel de sa dignité, sont de tristes complications d’une maladie déjà terrible par elle-même, si difficile à guérir, si exposée aux rechutes, et dont l’humanité, aidée de la science, ne pourra jamais qu’atténuer les ravages. On

  1. Nous empruntons ces chiffres à un excellent rapport statistique de M. le médecin en chef.