Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/808

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pièces bien choisies, faut-il conclure qu’un tel exercice, surtout s’il est rare, puisse avoir quelque danger ? Il y a là un vif plaisir pour tous les malades, pour quelques-uns un exercice intellectuel très sérieux et très attachant, enfin une occupation pour un très grand nombre : on peut donc recommander le théâtre comme une puissante diversion.

Je n’ai pas eu le plaisir d’assister à une des représentations de Stéphansfeld : elles n’ont lieu qu’en hiver, lorsqu’on est à bout de toute autre distraction ; mais j’emprunterai à un excellent rapport de l’ancien instituteur, M. Duffner, chargé de diriger ces exercices, quelques observations curieuses et neuves. « L’exercice le plus salutaire et assurément le plus propre à donner une idée des ressources intellectuelles des malades, dit M. Duffner, ce sont les représentations théâtrales. La pièce qui a été donnée cette année est intitulée le Neveu et comprend trois actes, divisés en trente-six scènes. Elle a été jouée par dix acteurs à rôles parlans ; mais, soit pour exercer la mémoire, soit pour nous prémunir contre les défections, nous avons occupé plus ou moins activement près de 30 malades. Dans notre nombreuse population, il ne s’est trouvé que ce faible chiffre qui ait offert quelque aptitude pour ce genre d’exercice ; parmi eux, 15 ont poussé l’étude jusqu’au bout, et 10 seulement ont montré le zèle, le tact et l’intelligence la plus indispensable pour passer à l’exécution. On comprend combien il doit être difficile de trouver parmi des aliénés, c’est-à-dire parmi des hommes concentrés ou distraits, obsédés d’idées fixes et enclins à l’isolement, des sujets susceptibles d’une application si longue et si sérieuse, et surtout combien on doit avoir de peine à maintenir l’harmonie entre ces intelligences en désordre, si diversement et si bizarrement affectées. Hâtons-nous de le dire, si les difficultés sont grandes, les avantages sont en proportion. La nécessité d’avoir des acteurs impose l’obligation de faire une sorte d’inspection morale et intellectuelle, d’étudier les ressources en tout genre de chacun, de faire des démarches et des essais préliminaires nombreux, dont le résultat n’est jamais vain, puisqu’il provoque la réflexion des malades et conduit à une connaissance plus approfondie des sujets. Les obstacles levés, les malades sont généralement contens ; aussi, après chaque représentation, manifestent-ils le désir d’en donner une nouvelle épreuve, se promettant de mieux s’acquitter de leur rôle, se reprochant des fautes d’oubli, de négligence, etc. Il est vrai que cet élan n’est pas de longue durée, car dès le lendemain ils tombent dans une sorte de prostration, et même la collation qui leur est donnée en témoignage de satisfaction ne leur offre qu’un attrait fort médiocre. Cet abattement n’est que la conséquence naturelle de leurs