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efficaces de distraire les fous, je citerai les promenades, les soirées chez le directeur, et dans les grandes occasions les bals et les représentations théâtrales.

À l’époque où les aliénés passaient quarante ans enchaînés dans une loge, on ne pouvait guère prévoir qu’il viendrait un jour où cent, deux cents, quatre cents aliénés iraient en troupe, se promener dans les champs, sur les routes, sans liens et accompagnés d’un très petit nombre de surveillans n’ayant eux-mêmes d’autres armes que leurs bras. C’est pourtant ce qui a lieu. Stéphansfeld est un des premiers asiles de France et peut-être le premier où cette innovation se soit produite. Le directeur commença par faire sortir 15 ou 20 malades, puis 30, puis 60, et enfin 100 et même 200. Tous les dimanches, il y a grande promenade : vous rencontrez sur la route une légion d’aliénés que vous ne reconnaissez qu’au costume et à l’expression de la physionomie. Du reste, ils marchent en ordre et en silence, aucun ne sort des rangs, aucun ne s’évade ; Ils respectent ceux qu’ils rencontrent et en sont respectés.

Les promenades distraient les aliénés, leur présentent des objets nouveaux, et enfin leur offrent l’apparence de la liberté. Ils oublient pour un instant leurs murs, et ce qui est remarquable, c’est que ces mêmes hommes qui se plaignent continuellement d’être captifs, qui ne cessent de réclamer leur liberté, une fois qu’ils sont dehors et plus de vingt contre un se laissent conduire comme des enfans, et rentrent à l’asile sans faire de résistance. L’habitude de la règle, l’instinct de l’imitation, un vague sentiment du bien qu’on leur fait, enfin la liberté même dont ils viennent de jouir, les ramènent à cette prison dont leur imagination s’éloigne sans cesse.

On est forcé, dans la plupart des cas, d’isoler les aliénés, c’est-à-dire de les enlever à leur famille, au monde, à leurs amis. L’isolement n’est pas la solitude, bien au contraire. La solitude est on ne peut plus funeste à l’aliéné. Ainsi on remarque que les malades qui ne veulent point frayer avec les autres sont plus difficiles à guérir que ceux qui vivent de-la vie commune. Sous ce rapport, les riches ont moins de chances de guérison que les indigens. Il est donc important de rétablir autant que possible les rapports de sociabilité entre les aliénés et de les ramener aux habitudes du monde. C’est dans cette intention que le directeur réunît chez lui tous les jeudis soir un certain nombre de malades choisis alternativement dans toutes les classes, en excluant, bien entendu, les agités et les violens. Ces réunions sont très recherchées ; c’est pour quelques-uns un plaisir qu’ils attendent toute la semaine avec impatience ; c’est l’occasion d’un peu de toilette ; ils revoient le monde, oublient un instant leur état, et ces hommes, que vous croiriez dans les cours ou les