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et de régularité ; mais c’est précisément en quoi la musique est utile, indépendamment de son action sédative et de sa merveilleuse puissance d’attendrissement.

Outre les travaux intellectuels proprement dits, il y a une sorte d’exercice fort utile, mais plus facile, et qui plaît singulièrement aux aliénés : c’est la lecture. Les lectures sont publiques ou particulières. Les lectures publiques ont lieu tous les soirs en hiver, après le souper. Elles ont d’abord pour effet de remplir le temps, ce qui n’est pas une médiocre difficulté ; en second lieu, elles maintiennent l’ordre. Les aliénés obéissent instinctivement à la règle, à l’habitude, à l’imitation. Vous ne pouvez pas obtenir par la raison qu’un aliéné soit calme ; jetez-le dans un mouvement d’opérations régulières, toujours les mêmes, imposez-lui, en commun avec d’autres, des exercices qui exigent le silence et la tranquillité : il obéira machinalement à l’exemple. La lecture est un de ces exercices. Une lecture publique à haute voix emporte d’elle-même la nécessité du silence. Ce n’est pas la volonté de l’homme qui commande, c’est en quelque sorte la nécessité des choses, et l’aliéné s’y soumet comme les autres hommes. La lecture n’est pas seulement un moyen de discipline ; on la choisit à dessein attrayante, intéressante, familière et très claire : ce qui est le mieux accueilli, ce sont les histoires, surtout les histoires contemporaines. L’hiver dernier, on a lu à Stéphansfeld des récits de la guerre d’Orient. Ces récits intéressaient les aliénés au plus haut degré : on eût entendu une mouche voler. Quelquefois on choisit des histoires plaisantes, et ils rient aux bons endroits. Ce qui vaut mieux encore que les lectures publiques, ce sont les lectures libres que chaque aliéné fait à son choix. Une petite bibliothèque composée de bons ouvrages leur est spécialement réservée. C’est une responsabilité assez grande et assez délicate que celle de leur choisir les livres qui leur conviennent. Quelquefois ils choisissent eux-mêmes, et non sans discernement : certains aliénés ont rendu les Mille et une Nuits comme trop frivoles, et les ont changées contre des livres d’histoire et de voyage. Les faits réels les intéressaient plus que les fictions ; mais d’ordinaire, comme les aliénés sont eux-mêmes de grands enfans, ils préfèrent les livres d’enfans, le Robinson suisse par exemple et les Contes du chanoine Schmidt.

Parmi les moyens que l’on emploie pour secouer l’esprit des malades, fixer leur attention, détourner leur délire et exercer leur jugement, il faut placer en première ligne la conversation. La conversation est un genre de leçons qui vaut tous les autres. Elle a sur la leçon proprement dite l’avantage d’être indirecte, de ne pas ressembler à un enseignement officiel, de rentrer dans les habitudes de la vie ordinaire, d’imposer à l’aliéné une certaine politesse, une certaine