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choses, les souvenirs de toute sa vie, et n’a plus ni regrets, ni désirs, ni espérances ! Si l’aliéné à rarement une telle fidélité d’attachement aux siens, il aime cependant à leur écrire, à recevoir de lettre, nouvelles. Il est rare qu’on ne se fasse pas écouter d’un aliéné en lui parlant de sa famille. Il est vrai qu’au souvenir de la famille se joint le souvenir de la liberté ; mais ce qui se réveille surtout, c’estime vague réminiscence de certaines habitudes, de certains liens, de certains plaisirs partagés en commun, et c’est de toutes ces choses qu’est composé le sentiment complexe que l’on appelle l’esprit de famille.

Il n’est pas impossible, on le voit, de découvrir dans les aliénés, à des degrés divers, la plupart des sentimens du cœur humain. Y retrouverait-on également certaines facultés de l’intelligence ? C’est un point qu’il conviendrait de vérifier par des observations très précises et très multipliées. Nous n’en présenterons que quelques-unes qui s’accordent avec le plan de ce travail. Seulement ici il faut avant tout faire une distinction importante et reconnaître, avec la plupart des auteurs, deux grandes formes de la folie : la manie et la monomanie.

Interrogez divers aliénés, vous ne serez pas longtemps sans découvrir qu’ils peuvent se ranger en deux classes, dont les limites sont loin d’être fixées avec précision, bien qu’il ne soit pas permis de les confondre. Les uns déraisonnent presque aussitôt qu’ils ouvrent la bouche, leurs pensées, leurs sentimens, leurs paroles et leurs gestes sont dans un état perpétuel de mobilité, d’incohérence et de contradiction ; il semble que le délire ait tout envahi, et qu’en eux tout soit également insensé : ce sont les maniaques. Les autres présentent toutes les apparences de la raison ; leurs gestes sont convenables, leurs paroles répondent à leurs pensées ; leurs pensées elles-mêmes ont une sorte de suite, leurs sentimens ne paraissent pas au premier abord en contradiction avec ceux des autres hommes. Enfin vous les croiriez victimes de la persécution en les rencontrant dans une maison de fous, si tout à coup un mot inattendu ne réveillait une série d’idées extravagantes d’autant plus difficiles à extirper qu’il s’y mêle souvent une assez grande puissance de raisonnement. Ce sont les monomanes dont on a tant abusé devant les tribunaux, mais dont on ne peut contester l’existence, pour peu qu’on ait visité une maison de fous.

Le maniaque, c’est le fou de théâtre. C’est celui qu’on nous représente passant en un instant d’une idée à l’autre, méconnaissant les personnes qui l’entourent, riant et pleurant dans le même moment. C’est un clavier mal accordé dont une main désordonnée frappé au hasard les touches dissonantes contre toutes les règles de