Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/77

Cette page n’a pas encore été corrigée

sinon heureux, du moins calme. Une barrière infranchissable existait entre Mme Rose et lui ; mais l’image adorée avait la même pureté et le même rayonnement.

Georges n’hésita pas à retourner chez Mme Rose dans la journée. Elle lui fut reconnaissante de cet empressement, qui donnait à leurs relations le caractère d’une intimité honnête et franche. M. de Réthel, qui avait beaucoup à écrire, les laissa seuls ; mais il ne le fit pas avant d’avoir causé quelques instants avec M. de Francalin. Il avait en toutes choses une rare élégance et les manières simples du meilleur monde, avec une certaine brusquerie qui n’était pas sans originalité. Quand Mme Rose se trouva seule avec Georges, ils se promenèrent autour de la maison, et descendirent dans le pays pour voir la Thibaude et Jeanne, sur qui Mme Rose veillait toujours. La petite fille avait le visage vermeil comme une pomme ; elle se jeta dans les bras de Mme Rose avec cette familiarité qui succède si vite chez les enfants de la campagne à une timidité farouche. Tout allait bien dans ce ménage, dont la vue rappela à M. de Francalin les premières paroles échangées avec Mme Rose auprès d’un berceau. La Thibaude remercia Georges des secours qu’il avait envoyés à Jeanne malgré son absence. C’était encore une attention de Mme Rose qui l’associait à sa vie. Il n’était donc pas un étranger pour elle ! Il ne voulut pas détromper la Thibaude, pour rester l’obligé de Mme Rose. Quand ils sortirent, la jeune femme prit le bras de Georges comme au temps passé.

« Se peut-il que je sois si tranquille auprès de vous après ce que j’ai vu ? dit M. de Francalin, tandis qu’ils côtoyaient la rivière.

— Pourquoi ne le seriez-vous pas ? Ce que j’étais hier pour vous, ne le suis-je pas aujourd’hui ? répondit Mme Rose. Qu’y a-t-il de changé entre nous ? »

Georges lui pressa doucement le bras.

« Mais, reprit-il, pourquoi m’avez-vous laissé partir sans me dire la vérité ?

— Le pouvais-je sans vous dire le nom de mon mari ! répondit Mme Rose ; il y avait dans cet aveu inévitable comme un blâme dont j’avais l’instinct, et que je ne me croyais pas en droit de faire subir à celui dont je porte le nom. Je ne m’explique peut-être pas bien…. Essayez de me comprendre.

— Mais, reprit Georges, quel motif a donc ramené M. de Réthel auprès de vous ? Quand et comment est-il arrivé ? A-t-il le projet de vivre dans la retraite ou l’intention de vous conduire à Paris ?… Pardonnez-moi toutes ces questions, et n’y voyez pas autre chose que le sentiment profond que m’inspire une personne en qui je ne verrai jamais que Mme Rose, quel que soit le nom qu’elle porte. Me le permettez-vous ?