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Soyons sains et saufs. Hors du sénat les délateurs ! Le bâton aux délateurs, et toi sain et sauf ! Au lion les délateurs ! Toi empereur, et le bâton aux délateurs !

« Que la mémoire du parricide, du gladiateur soit abolie ; que les statues du parricide, du gladiateur soient renversées ; que la mémoire de l’impur gladiateur soit abolie ! Au spoliaire le gladiateur ! Exauce-nous, César ; que le bourreau soit traîné avec le croc ; que le bourreau du sénat, suivant la coutume des ancêtres, soit traîné avec le croc ! Plus cruel que Domitien, plus impur que Néron, comme il a fait, qu’il soit traité ! Que les mémoires des innocens soient conservées ! Rends leurs honneurs aux innocens, nous le demandons ! Que le cadavre du parricide soit traîné avec le croc ; que le cadavre du gladiateur soit traîné avec le croc ; que le cadavre du gladiateur soit mis au spoliaire ! Recueille les voix, aux voix ! Nous opinons tous qu’il doit être traîné avec le croc. Que celui qui égorgeait tout le monde soit traîné avec le croc ; celui qui égorgeait tout âge, qu’il soit traîné avec le croc ; celui qui égorgeait tout sexe, qu’il soit traîné avec le croc ; celui qui n’a pas épargné son propre sang, qu’il soit traîné avec le croc ; celui qui a spolié les temples, qu’il soit traîné avec le croc ; celui qui a supprimé les testamens, qu’il soit traîné avec le croc ; celui qui a dépouillé les vivans, qu’il soit traîné avec le croc ! Nous avons été les esclaves d’esclaves. Celui qui a reçu un prix pour laisser vivre, qu’il soit traîné avec le croc ; celui qui a exigé un prix pour laisser vivre et n’a pas tenu sa promesse, qu’il soit traîné avec le croc ; celui qui a vendu le sénat, qu’il soit traîné avec le croc ; celui qui a enlevé aux fils leur héritage, qu’il soit traîné avec le croc ! Hors du sénat les dénonciateurs, hors du sénat les délateurs, hors du sénat les suborneurs d’esclaves ! Et toi (à Pertinax), tu as craint avec nous, tu sais tout, tu connais les bons et les mauvais ; tu sais tout, corrige tout. Nous avons craint pour toi. Oh ! bonheur ! Toi qui es un homme, toi empereur ! Fais opiner sur le parricide ; fais opiner, mets aux voix. Nous demandons ton assistance. Les innocens n’ont pas été enterrés ; le parricide a déterré les cadavres ; que le cadavre du parricide soit traîné ! »


Sortons de cet affreux tumulte d’une assemblée encore palpitante de peur, éperdue de joie et ivre de vengeance, dont il semble entendre les trépignemens, et cherchons à tirer avec calme quelques conclusions des spectacles si différens que viennent de nous donner les trois règnes qui ont passé devant nous.

Si je voulais prouver ce qui ressort pour moi de chaque ligne de l’histoire de la Rome impériale, combien le pouvoir illimité des empereurs était une chose mauvaise pour l’état et pour eux-mêmes, je me garderais de citer Caligula, Néron, Domitien : je citerais Antonin le Pieux et Marc-Aurèle. Quoi ! le monde a eu l’incroyable fortune d’être gouverné pendant près d’un demi-siècle par deux hommes incomparables, et immédiatement après, sans transition, il s’est trouvé aux mains d’un exécrable scélérat ! Commode a pu faire sans obstacle exactement le contraire de ce qu’avaient fait Antonin et Marc-Aurèle !