Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/745

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pertinax, successeur de Commode, l’ayant fait venir, eut l’idée de lui parler grec. Le vrai Sextus connaissait parfaitement cette langue. Le faux Sextus, qui ne savait pas le grec, répondit tout de travers, et sa fraude fut ainsi découverte.

Quand on lit l’histoire des furieux qui déshonorèrent l’empire, ce qui surprend, c’est qu’on ait supporté vingt-quatre heures de pareils maîtres. Il y a chez les hommes, une fois que l’esclavage s’est appesanti sur eux, une puissance de le supporter qui effraie ; mais enfin, lorsque la mesure de la tyrannie est comble, elle provoque toujours la terrible ressource des conspirations. Une première tentative pour se délivrer de Commode vint d’une de ses sœurs, Lucille, la veuve de Lucius Verus, alors remariée. On pardonnerait peut-être à une digne fille de Marc-Aurèle d’avoir voulu venger le nom de son père sur l’infâme frère qui le déshonorait, et des deux bustes colossaux de Lucille placés dans le casin de la villa Borghèse, il en est un surtout qui irait bien à une femme capable de cet héroïsme féroce à la Brutus. L’expression du buste est formidable, le dédain est sur les lèvres, le regard est de Némésis. Il faut néanmoins renoncer à rien voir d’héroïque dans le caractère de Lucille, soupçonnée du meurtre de son premier mari et criminelle épouse d’un second. Dion Cassius dit qu’elle ne valait pas beaucoup mieux que son frère. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle excita un personnage considérable nommé Pompeianus, son gendre et son amant, à tuer Commode. Pompeianus, en levant son poignard sur lui, s’écria : « Voilà ce que le sénat t’envoie ! » au lieu de frapper sans rien dire, et le coup manqua. Commode se contenta d’abord d’exiler Lucille, mais il avait ses desseins : il ne voulait la mettre à mort qu’après l’avoir déshonorée, comme il fit de ses autres sœurs. Il profita aussi de cette occasion pour se débarrasser de sa femme Crispina.

La seconde conspiration réussit mieux. Elle était encore conduite par une femme, Marcia, cette concubine de Commode qui passe pour avoir été favorable aux chrétiens ; mais ni sa situation auprès de l’empereur, ni le meurtre auquel elle prit part, ne permettent de supposer qu’elle ait été chrétienne. Elle commença par empoisonner Commode ; le poison n’agissant pas assez vite, on lui envoya un gladiateur avec lequel il avait coutume de s’exercer, et qui l’étrangla : mort conforme à sa vie !

On peut s’étonner que les statues et les bustes de Commode ne soient pas plus rares, puisque le sénat, qui avait souffert ses crimes et applaudi à ses barbaries dans l’amphithéâtre, se révolta quand il fut bien mort, et ordonna que ses statues seraient détruites. Le sénat voulait aussi que son cadavre fût privé de sépulture ; mais Pertinax permit à un affranchi de l’ensevelir, et on le porta de nuit dans