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s’était pas vu depuis les guerres puniques, et je suis porté à dire comme un historien peu considérable sans doute, mais qui dans cette circonstance me semble avoir vu assez juste, tout en exagérant peut-être un peu : « Si Marc-Aurèle n’était pas né dans ce temps-là, tout l’état romain eût pu tomber comme d’une chute soudaine, car nulle part on n’était à l’abri des armes, et des guerres se déclaraient dans tout l’Orient, dans l’Illyrie, l’Italie et la Gaule. » C’est la gloire de Marc-Aurèle d’avoir repoussé un si grand danger. Ce lettré, ce philosophe se montra général habile et brave guerrier. Lui, d’un tempérament maladif, il fit plusieurs campagnes très rudes, dompta une sédition redoutable, et on ne reconnut le moraliste qu’à son humanité pour les vaincus et à sa générosité envers ceux qui l’avaient trahi.

Ces campagnes sont représentées sur les bas-reliefs de la colonne triomphale qui lui fut décernée justement. Ils ne valent pas ceux de la colonne Trajane : la sculpture, si admirable encore dans les ornemens du temple d’Antonin et Faustine, a déchu sensiblement dans la représentation de la figure humaine, où la décadence, comme je l’ai dit, vient toujours plus vite que dans l’ornement ; puis Rome n’a plus un Grec comme Apollodore. La colonne elle-même, égale en hauteur à celle de Trajan, est très inférieure en mérite, et tandis qu’en contemplant celle-là, l’œil glisse sans obstacle sur les spirales superposées, ici il est arrêté désagréablement par la vicieuse saillie du cordon qui les sépare. Néanmoins les scènes représentées ont le même intérêt historique.

Un des sujets figurés dans les bas-reliefs de la colonne triomphale de Marc-Aurèle a surtout attiré l’attention des voyageurs : c’est un Jupiter pluvieux, avec une barbe longue et ruisselante, entouré de foudres qui frappent et dispersent des soldats éperdus. On a vu là une allusion à un miracle chrétien. L’armée, qui manquait d’eau, étant menacée de périr de soif, les chrétiens de la légion de Mytilène auraient obtenu de l’empereur la permission de prier leur Dieu ; une pluie abondante serait venue désaltérer et sauver l’armée en même temps que la foudre aurait frappé leurs ennemis ; la légion chrétienne aurait reçu, à cause de cet orage doublement heureux, le nom de fulminante. Cependant il serait singulier qu’on eût indiqué un miracle opéré par les chrétiens sur un monument dédié à un empereur qui eut le malheur de les persécuter ; de plus, et c’est le savant et pieux Dacier qui en fait la remarque : « Ceux qui ont écrit que cette légion fut appelée, à cause de ce miracle, légion fulminante, se sont fort trompés, car la légion fulminante avait été créée par Auguste, et on lui avait donné ce nom à cause de la foudre qu’elle portait sur ses boucliers. »