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Les questions passent et se succèdent dans la politique, et en se succédant elles montrent sous des formes qui varient sans cesse le caractère des peuples, les rivalités nationales, la faiblesse des combinaisons dans lesquelles on fait souvent consister l’ordre général en Europe. Une des faiblesses de cet ordre général, c’est évidemment la situation de l’Autriche en Italie, et une des conséquences de cette situation, c’est cet antagonisme qui vient d’aboutir encore une fois à une rupture diplomatique entre le gouvernement impérial et le Piémont. L’Autriche, on n’en peut douter, s’était placée dans une position difficile par les manifestations comminatoires contenues dans la dépêche de M. de Buol. Le pire encore était d’ajouter une faute à une faute et d’aggraver un incident qui reste aujourd’hui sans solution appréciable. Le ministre impérial à Turin, le comte Paar, a-t-il été rappelé ou appelé à Vienne, comme on l’a dit, pour conférer avec son gouvernement ? Il a quitté Turin avec sa légation, voilà le fait ; le gouvernement piémontais à son tour a rappelé de Vienne son chargé d’affaires, le marquis Cantono. M. de Buol aurait, dit-on, adressé récemment une circulaire nouvelle aux représentans de l’Autriche près les diverses cours pour éclaircir et préciser cette situation. Une chose est bien claire jusqu’ici, l’Autriche a évidemment cédé à ce que nous appellerons une politique d’impatience ; elle a trop compté se mettre, par une démonstration hautaine et malveillante, au-dessus de difficultés qui sont dans la nature des choses, qui découlent en un mot de sa présence en Italie. Au fond, dans ces sentimens d’antagonisme et de malveillance que le cabinet de Vienne reproche à la Sardaigne, et qu’il nourrit lui-même à coup sûr à l’égard du Piémont, il n’y a rien d’essentiellement nouveau. C’est une situation en quelque sorte traditionnelle, séculaire, et M. de Cavour n’est point sous ce rapport un aussi grand révolutionnaire qu’on le pense. De tout temps et à fort peu d’exceptions près, les princes de la maison de Savoie ont tourné leurs regards vers le Milanais, et se sont portés, dans la mesure de l’époque où ils vivaient, les défenseurs de ce sentiment d’indépendance italienne froissé par la domination étrangère. Les souverains les plus pacifiques ont résisté aux empiétemens des maîtres de la Lombardie. L’Autriche à son tour n’a jamais beaucoup aimé le Piémont, car, malgré l’inégalité des forces, elle n’a cessé de voir en lui un rival et, ce qui est pis, un héritier possible. Elle a toujours cherché à le dominer ou à l’affaiblir et à le désarmer en Italie. Lorsqu’en 1814 elle détruisait de ses propres mains cette citadelle d’Alexandrie qu’où relève en ce moment, elle ne songeait pas seulement à démanteler une place qui avait appartenu à la France ; elle savait bien qu’elle détruisait une forteresse piémontaise. Seulement cette lutte autrefois se poursuivait obscurément, elle restait souvent le secret des chancelleries, elle se traduisait par des récriminations clandestines. Tout au plus pouvait-il y avoir de temps à autre une petite guerre de journaux entre Milan et Turin. Cela s’est vu sous Charles-Albert.

L’établissement du régime constitutionnel en Sardaigne n’a point créé l’antagonisme, il l’a mis à nu, et c’est là ce qui fait la nouveauté de la situation actuelle. La liberté politique à Turin est venue ajouter la force de l’opinion aux sentimens traditionnels des princes de Savoie. Les journaux et la tribune ont parlé. L’Autriche peut s’en plaindre, elle ne peut s’étonner d’un fait aussi ancien que sa domination. Quant au Piémont, il a évidem-