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je fis mon entrée à l’orchestre, la salle, remplie jusqu’aux combles, éclata en applaudissemens frénétiques. Les chapeaux et les mouchoirs voltigeaient, dans l’air. L’ouverture a été exécutée deux fois, ainsi que plusieurs morceaux. L’air que chante Braham au premier acte a été redemandé, puis la romance de Fatime, et le quatuor, au second acte. On voulait même faire recommencer le finale. Au troisième acte, on a fait répéter la ballade de Fatime. À la fin de la représentation, j’ai été rappelé sur la scène par les acclamations enthousiastes, du public, honneur qu’aucun compositeur n’avait obtenu avant moi en Angleterre. Tout a très bien marché, et tout le monde était heureux autour de moi[1]. »

Ce qui n’est pas moins certain que le fait confirmé par les paroles de Weber, c’est que l’enthousiasme que montra le public à la première représentation d’Oberon ne se soutint pas également aux représentations suivantes. Le chef-d’œuvre du compositeur allemand éprouva à peu près le même sort que Guillaume Tell à. Paris. Il fut apprécié par ceux qui étaient dignes de le comprendre. Un journal spécial de Londres, l’Harmonicon, publia un article remarquable où toutes les beautés de la partition d’Oberon sont relevées avec un grand goût. L’article se termine par les mots suivans : « Weber a dépassé l’époque où il a vécu. Il sera mieux compris de l’avenir. » A la bonne heure, voilà ce qu’il faut dire de tous les vrais génies. Le temps les fait mieux apprécier, mais nous défions qu’on nous cite un grand homme dans les lettres et dans les arts dont les contemporains auraient complètement méconnu le mérite. Quant à la mort de Weber, elle s’explique par la fatigue, par le chagrin sans doute, mais surtout par une maladie organique dont il souffrait depuis des années. Une femme distinguée, qui avait été son élève, alla rendre visite à Weber dans le mois de juin de l’année 1825. C’était à une maison de campagne qu’il habitait près de Dresde. « Je fus frappée, dit-elle, de son abattement et de sa tristesse. Me trouvant un instant seule avec lui dans son cabinet de travail, près du piano, je ne pus retenir mes larmes, et, lui prenant la main, je lui dis : — Tout passe ici-bas ! C’est devant ce piano que j’ai vécu les heures les plus heureuses de ma vie, — Oui, me répondit-il, tout passe, et moi je suis perdu. Chère enfant, puissiez-vous ne jamais savoir ce que c’est de se sentir mourir jour par jour, de voir la mort s’approcher[2] !… »

Oberon fut traduit en allemand, sous les yeux mêmes de Weber, par son ami Th. Hell, et représenté pour la première fois à Leipzig, dans le mois de février 1827, avec un très grand succès. Rochlitz, un critique distingué, un ami et le collaborateur de Weber, fit aussi un article remarquable sur la partition d’Oberon, qui fut inséré dans la Gazette musicale de Leipzig, au mois d’avril 1827. Oberon a été chanté à Paris, à la salle Favart, par une troupe allemande, le 23 mai 1831. Il a été plus tard traduit en français par M. Maurice Bourges, dont la traduction, d’une fidélité scrupuleuse, a été publiée en 1842, avec le texte, allemand que nous avons sous les yeux.

Le sujet de l’opéra d’Oberon est tiré, non pas comme on pourrait naturellement le croire, du Songe d’une Nuit d’été et de la Tempête de Shakspeare,

  1. Voyez Hinterlassene Schriften {Œuvres posthumes), t. III, p. 23.
  2. Souvenirs de Mme Levassear, née Zeis, élève de Weber.