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se traduisent pas en faits ? La vraie philosophie proclame la futilité de l’histoire.

M. Taine a-t-il prévu toutes les conséquences du panthéisme appliqué à l’histoire ? Je répugne à le penser, car il lui arrive plus d’une fois de témoigner des sentimens généreux, comme s’il ne tenait aucun compte de cette doctrine funeste ; mais si les prémisses qu’il a posées ne sont pas combattues dès à présent et combattues à outrance, d’autres se chargeront d’éclairer d’une pleine lumière la conclusion qu’il a laissée dans un demi-jour. Si tout est réglé d’avance dans les événemens qui atteignent la condition humaine comme dans le mouvement des corps célestes, comme dans les affinités qui président à la composition, à la décomposition des corps placés à la surface ou dans les couches profondes de notre planète, l’héroïsme est un vain mot, l’accomplissement du devoir un rêve d’enfant. Il n’y a plus de flétrissure pour l’injustice, et ceux qui s’indignent en présence du droit méconnu et violé sont des visionnaires dont la place est marquée à Charenton. M. Taine ne va pas si loin ; mais la voie ouverte longtemps avant lui, la voie désertée par la raison, condamnée par les penseurs et par le bon sens de la foule étrangère à la science, la voie qu’il vient de rouvrir conduit au but que je viens de signaler. L’histoire jugée du point de vue de Spinoza n’est plus un enseignement, c’est un catalogue. Le présent succède au passé, comme la nuit succède au jour. L’histoire est dépouillée de toute moralité. Ceux qui s’inquiètent des générations évanouies vivent sous l’empire d’une hallucination ; ceux qui cherchent à deviner le sort des générations futures sont encore plus dignes de pitié. Leur curiosité ne mérite pas même une heure d’attention. S’incliner devant les faits accomplis sans colère et sans joie, voilà désormais ce qui s’appelle sagesse. Quand la foudre gronde, quand l’éclair sillonne la nue, on n’accuse ni la foudre ni l’éclair. Eh bien ! les événemens qu’une philosophie mensongère attribuait à la volonté humaine librement exercée, avec l’assentiment divin, ne relèvent, si le panthéisme est vrai, ni de l’assentiment divin, ni de la volonté humaine. Nous ne sommes plus au temps des illusions : nous voici face à face avec une lumière dont la splendeur ne sera jamais dépassée ; nos espérances ont la même valeur morale que l’ascension de la sève dans la tige de l’églantier ; l’homme qui s’applaudit du devoir accompli est pareil au flot qui se réjouirait d’avoir mouillé la grève. M. Taine me répondrait vainement qu’il n’a jamais songé à supprimer la moralité des actions humaines. Qu’il ait prévu ou qu’il ait ignoré les conséquences de la doctrine de Spinoza, notre devoir est de les signaler et de lui en imputer la responsabilité. Quand on a dépensé les plus belles années de sa vie dans l’étude de l’histoire et de la philosophie, on est mal venu à soutenir