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punie d’exil[1]. Les descendans d’ancêtres luthériens, pour participer aux avantages de la société civile en Suède, doivent pratiquer les rites et accepter la confession de l’église d’état, fussent-ils d’ailleurs au fond athées ou incrédules. Jusque dans la vie civile, l’église vous enlace de ses liens factices. Devez-vous quitter une paroisse pour aller habiter ailleurs, la loi exige que vous en avertissiez huit jours auparavant le pasteur, afin qu’il décide s’il n’y aurait pas lieu de vous examiner sur votre foi religieuse, et qu’il vous donne une attestation moyennant laquelle vous puissiez, sans payer d’amende, vous établir dans une autre paroisse. Or cette attestation doit constater que vous avez communié pendant l’année courante ; sinon vous ne sauriez, aux termes de la loi, porter le titre de chrétien, et vous vous exposez à encourir publiquement l’excommunication et les anathèmes de l’église. On ne saurait, à moins de participer à la sainte cène, devenir ouvrier ou compagnon, remplir une charge civile, se marier ou exercer un art mécanique. Il n’y a pas bien longtemps encore qu’il était défendu, sous peine d’amende, à tout luthérien suédois d’assister aux cérémonies religieuses d’une autre église. Ce n’est que très récemment aussi qu’a été abrogé l’usage de conduire au temple, entre deux soldats, tout forçat libéré à sa sortie de prison pour le réintégrer dans l’église devant la communauté réunie. Dans un pays où la vie civile et la vie religieuse se tiennent si étroitement, on ne pouvait rentrer dans la société qu’à la condition d’être rendu à l’église[2].

L’esprit de domination étroite qu’elle porte dans le domaine de la vie civile, l’église le porte aussi dans le domaine des croyances religieuses. Le pasteur ou le professeur doit donc se borner à reproduire sous forme théologique et populaire le contenu des livres symboliques. Il ne peut faire usage de sa conscience et de sa raison que pour retrouver dans l’Écriture les symboles consacrés. Bien plus même, si quelque laïque s’adresse à son pasteur pour lui proposer ses doutes, la réponse du prêtre revient d’ordinaire à ceci : « Le christianisme réclame de vous la foi. Examiner, juger, c’est faire acte de révolte. Croyez, si vous ne voulez pas entrer dans le chemin

  1. Il y a quelques années, l’auteur d’un article sur l’ascension du Christ, dont l’opinion du pays laissée à elle-même eût fait bonne justice, fut condamné au bannissement ; on réussit de la sorte à intéresser le public en faveur de l’exilé.
  2. Parmi les pratiques religieuses qui donnent à l’église de Suède ces caractères si étranges, on doit noter encore certaines coutumes évidemment empruntées au judaïsme. Ainsi toute femme nouvellement mère ne peut rentrer dans l’église qu’après s’être soumise à une sorte de purification. Quelques paroles bibliques, quelques prières prononcées par le pasteur en présence de la jeune femme lui rendent l’accès de la société des fidèles. Autrefois même la jeune mère ne reparaissait à la table de famille qu’après cette cérémonie accomplie.