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dans la confidence de ses privilèges, c’était sacrifier à la fois la délicatesse de la femme et sa propre dignité.

Sir Oliver, prenant cette brutale sortie pour une maladresse, faisait des signes au baron ; les autres personnes regardaient le chevalier pour l’engager à répondre. Sans rien perdre de sa sérénité habituelle, le bon seigneur Giacomo prit en effet la parole : — Jeune homme, dit-il, ces couples de vieux amis qui vous donnent la comédie ont tous leur roman connu, leurs circonstances atténuantes, leurs droits à l’indulgence des bonnes gens. On ne se borne pas à leur pardonner, on les aime et on les respecte. Il faut venir de loin et ne pas les connaître pour leur refuser l’estime et les égards qu’on leur accorde en leur pays.

— Vous l’avez dit, reprit Saint-Clément : je ne suis point de la paroisse ; voilà pourquoi je refuse mon estime aux cavaliers servans.

— Et moi, répliqua Giacomo perdant patience, je réserve mon mépris à une autre espèce de gens.

— Lesquels ? demanda le baron.

— Ceux qui se glissent dans une famille pour y faire des dupes sous le masque de la galanterie.

— Je sais comment on les nomme, dit l’Anglais : ce sont des chevaliers d’industrie.

Saint-Clément ne cherchait qu’un prétexte pour se dire offensé ; mais une querelle avec sir Oliver n’était pas ce qu’il voulait. Sans relever le gant de ce nouvel adversaire, il se tourna vers la marquise. — Madame, lui dit-il, j’ai besoin d’un petit éclaircissement : sommes-nous ici chez vous ou chez le chevalier Forcellini ?

— Vous êtes chez moi, répondit la dame.

— Chevalier, poursuivit Saint-Clément, vous l’entendez : cette maison n’étant pas la vô re, l’habitude que vous avez prise d’y parler en maître n’est qu’un mauvais pli et une usurpation. Je ne pense pas que l’usage à Venise soit de traiter une affaire d’honneur dans le salon d’une dame, et comme j’ai des explications à vous demander, nous allons, s’il vous plaît, sortir ensemble.

— Sortez si vous voulez, répondit Giacomo ; moi, je reste.

— Très bien, dit sir Oliver ; ne bougez pas.

— Alors, reprit le baron, le moment est venu de faire entendre ici la vérité. Chevalier, cette longue habitude, cette ancienne amitié dont vous vous croyez si fort, tout cela n’est plus aujourd’hui qu’un joug insupportable, une tyrannie à laquelle on ne sait comment se soustraire, et je n’aurais point agi comme je l’ai fait si je n’étais sûr d’avoir pris en main l’affranchissement d’une personne qui n’ose vous dire ce que je viens de vous apprendre. À présent restez dans