Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/633

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sincère. L’épreuve à laquelle je viens de te soumettre a tourné comme je l’espérais. Tu es amoureux ; Erminia t’aime, je veux qu’on te la donne. Marie-toi, mon garçon, il n’y a de sûr et de bon que les droits d’un époux. À présent, lâche-moi, car tu as des bras d’Hercule, et tu me serres à m’étouffer.

Il fut convenu que le chevalier écrirait au père d’Erminia pour lui demander son consentement au mariage, et qu’il choisirait le moment favorable pour parler de cette affaire à la marquise. Toujours plus occupé des intérêts d’autrui que des siens, le bon seigneur guettait en effet l’occasion d’aborder cette importante question, lorsqu’il s’aperçut qu’un fâcheux, jouant le rôle de sigisbée, se trouvait toujours entre la marquise et lui. Le baron de Saint-Clément ne bougeait plus de la maison ; il avait son couvert à table, sa place dans la loge au théâtre, dans la gondole pendant les promenades, et sa chaise à côté de celle de la dame sur la place Saint-Marc. Il débitait à la jeune fille et à la mère des complimens que la première écoutait avec indifférence, et que la seconde prenait pour de fines fleurs de courtoisie. Quant au pauvre chevalier, il ne pouvait plus ouvrir la bouche sans recevoir du baron quelque rebuffade, et s’il venait à émettre une opinion sur quoi que ce fût, une discussion animée s’engageait aussitôt, dans laquelle son contradicteur sortait parfois des bornes de la politesse. Au bout de huit jours, cette humeur quinteuse du baron avait pris un caractère singulier d’aigreur et d’hostilité.

Les rédacteurs de la chronique observaient ces nuances avec attention. Ils remarquèrent aussi des changemens dans les habitudes de la marquise. Comme si sa coquetterie se fût réveillée, la dame semblait avoir un retour de jeunesse et donnait plus de soins à sa parure. Elle voulait rouvrir son salon et prendre un cuisinier français. Pour réformer le mauvais état de sa maison, elle avait recours aux lumières du baron, et le cavalier servant voyait ses attributions passer une à une dans les mains du sigisbée.

Cependant une lettre de Milan apporta le consentement du père au mariage de sa fille avec Remigio. Le chevalier, renonçant aux précautions oratoires, remit cette lettre à la marquise en lui demandant ce qu’elle en pensait. Sans s’émouvoir, la mère jeta le papier au feu, et répondit qu’elle avait d’autres projets pour l’établissement de sa fille : — Puisque vous êtes le confident de Remigio, ajouta-t-elle, chargez-vous de lui apprendre que désormais ma porte lui sera fermée, et ôtez-lui de la tête cette fantaisie d’être mon gendre.

— Mais, dit le chevalier, cette fantaisie-là, c’est de l’amour, et du meilleur. Depuis trois mois, ces enfans se voient matin et soir ;