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LE CAVALIER SERVANT


SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

I.

Dans l’arrière-boutique du café Florian, à Venise, était, il y a quelques années, une salle obscure, réservée aux joueurs d’échecs, et qu’on appelait pour cette raison la chambre des scacchi, mais qu’on aurait dû bien plutôt nommer le salon des commérages. C’est là que tous les soirs à minuit, j’ai pu assister, pendant un an, à la confection d’une chronique scandaleuse pleine de faits comiques et d’épisodes curieux. Les collaborateurs les mieux informés de cette chronique étaient maître G… le notaire, et le docteur F…, médecin à la mode. Un jeune artiste exécutait, séance tenante, des dessins à la plume sur les plus belles anecdotes de chaque jour. Vers la fin de l’hiver, cette série de dessins formait un album semblable à ceux de Töpffer, avec ce titre allégorique : Histoire de trois chèvres noires et de trois chèvres blanches. Les héroïnes étaient trois dames brunes et trois dames blondes, dont les aventures avaient fourni matière à la gazette illustrée du café Florian. Ces historiettes un peu trop boccaciennes ne se peuvent raconter que sous le manteau de la cheminée.

Un soir du mois de mars, tandis que la médisance allait grand train, j’étais assis dans un coin du salon des scacchi, près de l’abbé G…, sacristain de Saint-Marc, un des ecclésiastiques les plus aimables