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scrupuleux que nous, s’étaient emparés de toutes les maisons de quelque importance, même des mosquées et de la magnifique synagogue israélite, l’une des plus belles du monde. Du reste, ils nous abandonnèrent spontanément deux grandes maisons, toutes pourvues d’un mobilier d’hôpital assez important.

Dans les ambulances turques, les médecins ont la haute main comme dans les ambulances anglaises ; ils dirigent tout le service et l’administration. Les infirmiers sont d’anciens soldats, trop jeunes pour la pension de retraite, et qui ont généralement du zèle, parce que le renvoi leur ôterait tous leurs droits à la pension. La nourriture se compose en grande partie de mouton à la chicorée. En Orient, le mouton est abondant et de bonne qualité ; le bœuf est rare, décharné, mauvais. Je m’inspirai de cet exemple pour demander qu’on distribuât quelquefois dans nos hôpitaux du mouton à la chicorée en place de bouillon et de bœuf bouilli, estimant que dans les contrées lointaines il faut bénéficier des ressources du pays et apporter de sages modifications aux habitudes réglementaires. J’empruntai aux Turcs une autre coutume. Ils font dans les salles de malades de fréquentes fumigations de sauge sèche, jetée sur un brasero. Ce parfum plaît à l’odorat ; il renouvelle complètement et rapidement l’atmosphère contaminée par les miasmes ; si l’on ouvre un instant les portes et les fenêtres, le parfum s’échappe en emportant l’air vicié. Ce mode antique de purification n’est pas à dédaigner. Ce qui manque encore aux Turcs pour la science médicale, ils l’acquerront bientôt. Le sultan a fondé à Constantinople une école de médecine où cinq cents élèves sont réunis. Les plus intelligens vont à Paris achever leurs études. Cette pépinière de jeunes gens d’élite rendra de grands services aux armées ottomanes et répandra parmi leurs coreligionnaires nos idées et nos mœurs.

En quittant la Crimée, j’allais inspecter, non plus les ambulances, mais les hôpitaux. La première condition des hôpitaux est la permanence. À Constantinople, ces vastes établissemens, chaque jour agrandis et multipliés, étaient loin de l’ennemi, à l’abri de tout danger extérieur, assez près de la Crimée pour que les communications fussent aisées, et au bord de la mer, afin que les transports fussent moins dangereux et moins pénibles pour les malades. Je les trouvai remplis de fiévreux, de scorbutiques et de typhiques. Là aussi de graves questions se présentaient à l’esprit du médecin : questions administratives et questions scientifiques, organisation du service et traitement des maladies. Les épidémies, plus cruelles que le feu de l’ennemi, exerçaient des ravages effrayans. Je me propose de parler prochainement des hôpitaux et des épidémies.


L. BAUDENS.