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dont les villages étaient incendiés, disait-on, par les Russes. Non-seulement les alliés les accueillaient, mais ils les nourrissaient. J’ai vu distribuer du biscuit à plus de mille enfans ; ces enfans en revanche rendaient quelques services au corps du génie. L’état sanitaire des troupes françaises était fort satisfaisant : on ne comptait que 300 malades sur un effectif de 12,000 hommes. C’est un résultat qu’on n’obtient même pas en France ; il était dû à la continuation du beau temps, à l’abondance et à la bonne qualité des vivres, dont la distribution était très régulière, enfin aux manœuvres militaires, qui tiennent les soldats en haleine et exaltent leur moral. Les corps d’armée des généraux d’Allonville et de Failly, qui harcelaient l’ennemi, comptaient fort peu de malades, et le plaisir de brûler des amorces, les succès obtenus, avaient transformé rapidement de jeunes recrues en soldats aguerris.

Ces corps d’armée campaient sous des tentes-abris qui pouvaient d’un jour à l’autre devenir insuffisantes, et que les premières pluies, en détrempant le terrain, devaient rendre inhabitables. N’eût-il pas mieux valu loger nos soldats dans la ville même ? C’était montrer trop de respect pour les propriétés ennemies ; on n’aurait demandé à l’habitant ni lits, ni couvertures, mais un toit contre la pluie et les rigueurs d’un hiver dont on connaissait l’inclémence. La place ne manquait pas dans les maisons[1]. Les maladies, il est vrai, étaient encore peu graves ; mais les dangers d’un campement malsain pouvaient en accroître le nombre et la violence. Dans cette prévision, l’ambulance ou hôpital s’installait sous hangars, dans un vaste terrain clos de murs, ayant pour dépendances trois belles maisons qui pouvaient contenir deux cents lits ; au besoin, il était facile de dresser des tentes dans les cours. Les médecins furent réunis en conférence : nous convînmes de quelques mesures d’ensemble ; nous fixâmes notre attention sur les ambulances turques, d’où pouvaient sortir quelques germes d’épidémie. Les 15,000 Turcs et Égyptiens réunis à Eupatoria comptaient plusieurs milliers de malades, principalement des scorbutiques qu’on évacuait sur Varna. Leurs ambulances étaient bien installées ; malheureusement elles possédaient peu de médecins dignes de ce nom. Il fut arrêté avec Achmet-Pacha, général en chef, que quelques mesures seraient prises sous la surveillance de M. Bourguillon, médecin en chef de notre hôpital, l’un de nos praticiens les plus distingués, qui connaîtrait ainsi le premier les variations de l’état sanitaire parmi les malades de l’armée turque et égyptienne. M. Bourguillon n’a eu qu’à se louer de ses rapports avec M. Cassini, médecin en chef de l’armée égyptienne, qui dirigeait avec talent un service difficile. Nos alliés musulmans, moins

  1. Cet avis, exprimé dans mon rapport an ministre de la guerre et au maréchal Pélissier, fut entendu, et l’armée prit ses quartiers d’hiver dans une portion d’Eupatoria.