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aux pratiques de la médecine des armées, l’institution n’a pas d’autre but, l’enseignement devrait être surtout dirigé dans cette voie. Il est vrai que, pour bien comprendre l’importance de ces leçons spéciales, pour saisir tous les côtés par où elles touchent aux plus hautes régions de la science, il faut posséder une longue pratique des champs de bataille. Les élèves du Val-de-Grâce trouveraient du moins dans les écrits de nos illustres devanciers, particulièrement dans ceux de Percy et de Larrey, une foule d’enseignemens pratiques, une riche nomenclature d’incidens de guerre et de moyens ingénieux ; ils verraient comment un grand chirurgien peut vaincre les difficultés de toute sorte que la guerre lui oppose à tout instant.

Ces difficultés sont innombrables. Reconnaissons toutefois que, pendant la guerre d’Orient, la science chirurgicale a pu s’aider pour la première fois d’une découverte récente due aux belles recherches de M. Flourens, découverte qui n’avait pas encore été expérimentée sur les champs de bataille : nous voulons parler de l’action anesthésique du chloroforme, dont les effets merveilleux, en épargnant de grandes douleurs aux blessés, ont été souvent utiles à la guérison de leurs plaies. L’emploi du chloroforme a permis de régulariser des blessures, mortelles en apparence, que le chirurgien n’aurait pas osé traiter avec autant d’énergie, de peur de provoquer de nouvelles et inutiles souffrances. Ainsi régularisées, ces blessures sont toujours devenues moins douloureuses, et quelquefois elles ont étonné par des guérisons inespérées. Un soldat du 57e régiment reçut par exemple au haut de la cuisse un éclat de bombe ne pesant pas moins de 2 kilog. 150 grammes. Cet énorme morceau de fer s’était engagé si profondément, que l’on n’en voyait aucune portion saillante au dehors. Le chloroforme permit l’extraction de cette masse, puis l’amputation, sans que le malade éprouvât la moindre souffrance, et il a pu s’en relever. Sans le chloroforme, on aurait hésité à tenter l’opération.

On sait que, manié imprudemment, le chloroforme, qui ôte la souffrance, peut aussi ôter la vie. Du reste, il partage ce triste privilège avec les remèdes les plus souverains ; pris à certaines doses, la plupart sont des poisons, et tuent au lieu de guérir. Le danger peut être sûrement conjuré à la condition de suivre certaines règles, et surtout de ne pas pousser l’inhalation jusqu’à l’extrême limite. La limite est extrême, selon moi, lorsque, d’après le précepte répandu il y a quelques années, on dépasse la période d’insensibilité pour arriver au collapsus, à la résolution musculaire complète. Cet état se reconnaît quand un membre qu’on soulève retombe comme une masse inerte ; il est effrayant, car à ce point la vie touche presque à la mort, elle est toute retirée dans le nœud vital, placé par M. Flourens dans la moelle allongée ; à l’origine de la huitième paire de nerfs, qui gouverne absolument les fonctions du cœur et des poumons.