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beaucoup mieux que la main du chirurgien, et au prix de moins grands sacrifices. L’art assigne aux amputations des lieux d’élection qui souvent obligent à sacrifier des portions de membre qu’on pourrait sauver, tandis que la nature, essentiellement conservatrice, n’enlève que ce qui rigoureusement ne peut vivre. En observant le travail de la nature, on se convainc d’abord que l’indication des lieux dits d’élection est dans beaucoup de cas théorique, arbitraire, non légitimée par la pratique, et qu’il peut y avoir avantage à amputer sur la ligne rigoureuse de démarcation entre les parties saines et les parties malades. C’est d’après ces principes que depuis bien des années j’ai créé une série de nouvelles amputations partielles du pied. La guerre d’Orient m’a fourni une foule d’exemples dont je puis faire des argumens. Avant même de me rendre en Crimée, j’avais trouvé à l’hôpital de Marseille, parmi les malades renvoyés en France, trois cents soldats atteints de congélations partielles des pieds qui étaient guéris ou en voie de guérison, quoique l’art ne fût pas intervenu et que la nature seule eût fait tous les frais de la cure. La nature ne tient nul compte des décisions des savans fixant des lieux d’élection. Si une portion d’orteil peut être sauvée, même quand tous les autres doigts sont morts, elle la conserve. J’ai vu sur deux malades la deuxième phalange du petit orteil rester seule après l’élimination spontanée de tous les orteils ; chez d’autres, c’étaient le pouce et le petit doigt qui survivaient. Rien de plus divers, de plus ingénieux que les procédés de conservation de la nature. Le chirurgien n’a qu’à l’imiter ou la laisser faire. Voici comment elle procède : la portion d’os à éliminer se dessèche, devient noire et fait saillie. À la base, les chairs conservées se boursouflent, se couvrent de bourgeons et empiètent sur l’os, qui tombe bientôt de lui-même, en laissant un trou profond. Les bourgeons bouchent ce trou rapidement, et de cette façon le moignon, bien matelassé de parties molles, est dans les conditions les plus favorables. Le chirurgien ne doit intervenir que si la nature est impuissante, il ne doit même l’aider qu’avec réserve, lorsqu’il peut craindre la pourriture d’hôpital. C’était l’opinion de M. Thomas, médecin en chef à Constantinople. Il avait remarqué que le plus léger effort pour extraire un os à peine retenu par ses ligamens déterminait presque toujours la pourriture d’hôpital ; aussi laissait-il à la nature le soin d’éliminer les parties mortifiées par suite de congélation. Ce n’est qu’en 1856, quand les conditions hygiéniques des hôpitaux sont devenues meilleures, que MM. Thomas et Lustreman ont pu pratiquer avec succès quelques amputations. En campagne, les traitemens les meilleurs peuvent avoir de grands dangers. Dernièrement M. le professeur Chassaignac a amputé au milieu des parties mortes des membres