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prolongées et d’abondantes suppurations. La désarticulation du genou conserve aux amputés le libre jeu de l’articulation coxo-fémorale, et donne un point d’appui solide pour un membre artificiel.

Avant la guerre de Crimée, c’était un principe généralement accepté qu’une fracture du fémur déterminée par un coup de feu nécessite l’amputation. Il y a lieu de penser que, grâce à mes nouveaux appareils à fractures, on peut en appeler de cette sentence trop absolue[1]. Ces appareils ont l’avantage de conserver au membre sa conformation normale sans le comprimer, sans l’atrophier, de maintenir la fracture dans l’immobilité la plus parfaite par la permanence de l’extension, de la contre-extension et de la coaptation, opérées à l’aide de liens élastiques qui remplacent parfaitement l’action contractile des doigts. L’inflammation s’apaise plus vite ; la cuisse, presque complètement découverte, reste exposée à la salutaire influence de l’air et de la lumière. Le chirurgien, pendant toute la durée du traitement, peut suivre constamment de l’œil la marche de l’affection, se passer d’aides, appliquer des topiques et panser les plaies très facilement. En Crimée, à Constantinople, dans les grands services de nos plus habiles médecins, de MM. Lustreman, Thomas, Salleron, Maupin, Marmy, beaucoup de membres pelviens, cuisses et jambes, ont été sauvés par l’emploi de ces appareils à fractures. On avait d’abord soin d’extraire les esquilles détachées, dont la présence dans les chairs aurait entretenu une suppuration interminable et presque toujours mortelle. Après cette extraction, on donnait à la plaie une position déclive pour faciliter l’écoulement du pus, et on laissait la nature agir librement, sans contrainte. Plusieurs guérisons ont été obtenues, sans que l’extraction laissât de notables difformités. Le cal vicieux, ou soudure de fractures vicieusement consolidées, avec déformation des membres, a pu être redressé avec succès à l’aide de ces appareils, même après plusieurs mois. Le raccourcissement du fémur, proportionnel à la perte osseuse, peut le plus souvent se dissimuler par un haut talon de botte.

Les amputations de la cuisse sont d’autant plus graves qu’elles se rapprochent davantage du tronc ; il est donc fort important de les éviter. Rappelons que, si la désarticulation du genou a besoin d’être immédiate, la désarticulation coxo-fémorale paraît ne pouvoir réussir au contraire qu’à la condition d’être pratiquée quelque temps après la blessure reçue. Cette remarque est fort importante, car il s’ensuit qu’on peut, qu’on doit même, à mon avis, tenter d’abord la conservation du membre. L’extrémité supérieure du fémur étant presque uniquement formée d’un tissu spongieux, plus facile à traverser que les os compactes, la balle, trouvant moins de résistance,

  1. J’ai lu une description, de ces appareils à l’Académie des Sciences le 7 avril 1854.