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plus tard cet officier quitta ses béquilles pour marcher librement. C’est là un des plus beaux triomphes de la chirurgie conservatrice.

Le traitement par la glace peut s’appliquer non-seulement aux blessures de guerre, mais aux lésions provenant d’accidens, aux entorses, contusions, fractures, et particulièrement aux hernies étranglées, qu’il guérit souvent sans opération, avec le plus grand succès. Il est prudent de borner ce traitement aux lésions par cause vulnérante, parce que là l’élément inflammatoire est franc, pur, dégagé de toute influence des prédispositions individuelles. Pratiqué sur des milliers de malades au Val-de-Grâce, où j’ai dirigé pendant dix années le service chirurgical, le traitement par la glace a fait ses preuves ; la chirurgie militaire s’en est emparée et en tire un excellent parti.

Les bombes produisent des blessures toujours fort graves. Dans la poitrine et l’abdomen, elles font d’affreuses brèches que l’art est impuissant à réparer. Un boulet ou un éclat de bombe a-t-il emporté un membre, le blessé éprouve les effets d’une commotion générale, et, dès que la stupeur commence à se dissiper, la main du chirurgien devient indispensable pour régulariser la plaie. Si on l’abandonnait aux seuls efforts, de la nature, les lambeaux violemment déchirés, parsemés de portions tendineuses d’inégale longueur et de pièces osseuses broyées, détermineraient presque toujours une gangrène mortelle. La rupture des artères peut entraîner des hémorrhagies et une mort presque immédiate. Le général R… est mort en peu d’instans, affaissé sur lui-même, à la suite d’une hémorrhagie provoquée par un biscaïen qui avait séparé en deux l’artère poplitée. On aurait pu lui sauver la vie en comprimant le vaisseau jusqu’à l’arrivée du chirurgien. Il y a des cas cependant où la violence même du coup apporte un remède efficace : l’arrachement d’un membre amène la rétraction du tissu artériel, et l’ouverture du tube, froncée, revenue sur elle-même, oppose une barrière à l’impulsion de la colonne sanguine.

Quelquefois les effets des bombes sont d’une horrible bizarrerie. Le général Pecqueux de Lavarande a été littéralement coupé en deux par une bombe qui a éclaté entre ses jambes. La tête est restée d’un côté, avec une moitié du tronc, un bras et une jambe. D’autres effets plus singuliers, qui n’avaient pas encore été signalés, ont été à plusieurs reprises observés pendant le siége de Sébastopol. On sait que les bombes, en parcourant leur parabole, s’annoncent par un sifflement particulier, que ce sifflement aide à s’en préserver, et qu’on a la sage habitude de se coucher par terre pour éviter les éclats. Il est arrivé qu’au moment où des soldats se courbaient pour se jeter sur le sol, la bombe, décrivant sa courbe, a suivi la convexité de l’épine