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et les privations, s’il craint que les forces vitales épuisées ne fassent défaut, et qu’une réaction salutaire ne puisse avoir lieu, il donnera des boissons excitantes au lieu de réfrigérans ; il entourera la plaie d’une forte couche de ouate pour entretenir la chaleur. L’emploi de la glace serait ici un monstrueux contre-sens.

Les adversaires de la méthode réfrigérante redoutent la gangrène, ou tout au moins les répercussions et arrêts de transpiration. Il est difficile de comprendre à priori qu’un membre puisse sans danger être, couvert de glace pendant plusieurs jours, tandis qu’un simple glaçon, tenu quelques instans entre les doigts, amène un commencement de congélation, de vives douleurs, un sentiment de constriction insupportable. C’est que la glace agit, dans le second cas, sur une surface enflammée, dans le premier sur une région saine. L’inflammation communique à la région dont elle s’est emparée une résistance au froid très remarquable. Hunter, après avoir congelé l’oreille d’un lapin en l’entourant d’un cornet plein de glaçons, ne put congeler de nouveau cette même oreille prise d’inflammation. Ce fait est une révélation. Il faut distinguer la chaleur organique normale ou physiologique, celle de l’état de santé, de la chaleur anormale morbide produite par l’inflammation. Le calorique normal indispensable à l’exercice régulier des fonctions ne saurait être soutiré sans péril : on sait combien un simple refroidissement peut être dangereux. Quant au calorique engendré par l’inflammation, s’il est modéré, s’il ne dépasse pas un certain degré nécessaire à la guérison, on ne doit pas le diminuer. C’est quand il se produit avec excès qu’il offre des dangers et détermine une foule d’accidens. Il vaut mieux, dans ce cas, recourir aux applications réfrigérantes qu’aux saignées locales ou générales. Le froid est sédatif ; il calme la douleur et prévient l’afflux du sang dans la partie lésée, tandis que les sangsues, par la succion, par leur piqûre douloureuse, attirent le sang et congestionnent la plaie. Le froid tonifie le malade, les saignées l’affaiblissent ; le froid est l’agent le plus énergique qui puisse arrêter l’inflammation, en prévenir les écarts ; les saignées sont souvent inefficaces. Le froid tend à localiser la phlegmasie, à l’emprisonner dans la blessure, à en prévenir les irradiations sympathiques sur les grands viscères, notamment sur le cœur, dont la réaction suscite la fièvre. L’inflammation a quelquefois une telle intensité, que j’ai dû appliquer pendant plusieurs jours sur des plaies compliquées d’étranglement des mélanges réfrigérans à 14 degrés au-dessous de zéro. Lors de l’insurrection de juin 1848, j’ai maintenu la glace pendant quarante jours sur la jambe d’un officier blessé. Le quart de la substance du tibia broyé par le projectile avait été extrait pour simplifier la plaie. L’amputation a pu être évitée, et quinze mois