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arrêter deux fois par une compression bien faite une hémorrhagie foudroyante de l’artère fémorale, et donner ainsi au médecin le temps d’arriver pour lier le vaisseau. Toutefois il est nécessaire de limiter strictement le champ d’action des soldats panseurs ; leur intervention doit être exclusivement manuelle ; ils ne peuvent s’immiscer en rien à la direction du traitement. Ce sont des mains ajoutées aux mains du chef de service, rien de plus.

Les heureux résultats qu’a donnés cette institution des soldats panseurs improvisée en Crimée ne doivent pas être perdus. Ils amèneront la suppression définitive des sous-aides médecins. Ces sous-aides remplissaient avec négligence des fonctions qu’ils trouvaient trop infimes. Quoiqu’ils ne fussent pas docteurs, leur collet brodé les faisait prendre pour des savans, et trop souvent on leur confiait des directions médicales. Enlevés des bancs des écoles pour le service des armées, ils y perdaient le temps le meilleur pour l’étude. Leurs années de jeunesse s’écoulaient dans les camps, et quand ils en revenaient, ils ne se sentaient ni la force ni le courage de recommencer leurs études classiques pour s’acheminer vers le doctorat. Quand les facultés de médecine finissaient par leur accorder le diplôme, c’était le plus souvent en tenant plus de compte de leurs vieux services que de leur mérite scientifique. Elles peuplaient ainsi d’auxiliaires médiocres le corps de santé des armées.

Les Anglais, outre leurs infirmeries régimentaires, possédaient quatre ambulances, une à Inkerman, deux à Balaclava, une au monastère Saint-George. Le service médical, dirigé par le savant et habile sir John Hall, ne laissait plus rien à désirer à la fin de la campagne. Les infirmiers remplissaient avec zèle leurs fonctions sous l’impulsion active et intelligente de femmes hospitalières à la tête desquelles on remarquait la célèbre miss Nightingale. Beauté, jeunesse, fortune, elle avait tout sacrifié à la noble mission de soulager la souffrance. Cette jeune femme frêle qu’on voyait à cheval parcourant les ambulances confondait dans sa pieuse sollicitude les malades des trois armées alliées. À l’époque du typhus, elle fit aux ambulances françaises et sardes un don considérable de vin de Porto et de conserves de toute espèce.

Les ambulances anglaises étaient d’une remarquable propreté. On a vu que cette qualité ne se rencontrait pas dans les nôtres. Cette différence tient en partie à la position plus haute et plus indépendante du médecin militaire anglais, qui exerce une plus grande autorité pour l’exécution des mesures hygiéniques. Le régime alimentaire s’écartait de celui de nos ambulances. Le thé, la viande rôtie, les puddings y tenaient une large place. Le médecin pouvait ordonner la bière, les vins de toute sorte, le rhum, le cognac ; et tout ce qu’il