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« brigands » du faubourg Saint-Antoine tués devant la maison de Réveillon pour avoir trop sérieusement cru que « l’arbre de la liberté avait besoin d’être rafraîchi dans le sang des tyrans et des patriotes. » Les excès de ces bandes sanguinaires qui venaient de faire leur première apparition dans les rues de Paris lui inspiraient d’ailleurs plus de répugnance et de mépris que d’effroi. Les violences de la populace n’étaient à ses yeux que des accidens inévitables, communs à toutes les révolutions, et qui ne pouvaient rien contre celle dont il suivait les progrès avec la curiosité bienveillante d’un connaisseur sympathique. Seulement ce qui venait parfois le troubler dans ses prévisions optimistes sur l’issue de la révolution française, c’était l’état intellectuel et moral de ce peuple qui, par une brusque émancipation, sans éducation préalable, allait subitement passer d’une tutelle oppressive à une indépendance sans limite. C’était la confiance présomptueuse et presque puérile encore de ces réformateurs improvisés dans leur force et dans leur science politique ; c’était la précipitation à la fois impétueuse et systématique de leurs allures, leur inexpérience de la liberté, leur ignorance des conditions auxquelles elle s’établit, le peu de goût naturel qu’ils avaient pour les institutions qui en sont la plus ferme garantie. « Jusqu’où pourront-ils aller en définitive dans la réforme radicale des abus, c’est ce qu’il est impossible de prévoir, écrivait-il à Washington le 4 décembre 1788. Selon moi, une influence dont aucun de leurs plans de réforme ne tient compte les déjouera tous, l’influence des femmes dans le gouvernement. Les mœurs de la nation leur permettent de visiter seules tous les gens en place, de solliciter pour les affaires de leur mari, de leur famille, de leurs amis, et leurs sollicitations mettent au défi les lois et les règlemens… » Et à Madison : « Le malheur est qu’ils ne sont pas assez mûrs pour recevoir les bénédictions auxquelles ils ont droit. Je doute par exemple que le corps de la nation, si l’on pouvait prendre son avis, fût disposé à accepter une loi d’habeas corpus dans le cas où elle serait offerte par le roi. » Et après la réunion de l’assemblée constituante : « Ils se flattent de faire une meilleure constitution que la constitution anglaise. Je crois qu’elle sera à la fois meilleure et pire : meilleure sur le chapitre de la représentation, qui sera plus égale, pire en ce que leur situation les oblige à conserver la dangereuse machine des armées permanentes. Je doute aussi qu’ils obtiennent le jugement par jury, parce qu’ils n’ont pas le sentiment de sa valeur… Et je le regarde cependant comme la seule ancre efficace qui ait jamais été inventée par l’homme pour tenir un gouvernement attaché aux principes de sa constitution… Il n’y a jamais eu de pays où l’habitude de trop gouverner ait pris plus profondément racine et fait plus de mal… Nous sommes leur modèle,