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n’était pas seulement lorsqu’il, s’agissait des arts que Jefferson affectait ces airs d’amateur et de connaisseur. Il s’intéressait à tout, savait de tout, parlait de tout avec l’étourderie d’une jolie femme philosophe du XVIIIe siècle. Il jugeait la nomenclature chimique, de Lavoisier du même ton qu’un opéra ; il condamnait les théories physiques de Newton avec autant d’assurance que les institutions monarchiques. C’était également à ses yeux des erreurs vieillies dont le progrès des lumières devait faire justice. Rejeter avec un superbe scepticisme les opinions anciennes, accueillir avec un enthousiasme crédule les nouvelles, douter de ce que les hommes avaient toujours cru, et ne jamais douter de soi et de son temps, c’étaient les règles les plus saisissables de sa critique. Aussi croyait-il avec autant de religion à l’existence de certains mammouths vivans qu’un malicieux voyageur prétendait avoir rencontrés dans les montagnes du Nouveau-Monde qu’à la férocité des mammouths politiques de l’Europe, et il regardait sans hésitation comme démontré que les Peaux-Rouges descendaient des Carthaginois, et que les couches géologiques du globe étaient dues à une végétation analogue à celle qui produit les couches ligneuses des arbres. À en juger par un conseil qu’il donne à son neveu Peter Carr, jeune collégien qui sentait le besoin de se faire une religion, Jefferson apportait dans l’examen des questions théologiques plus de réserve, de prudence, de sérieux et de critique que dans la solution des problèmes scientifiques. « Résistez au penchant pour les nouveautés et les opinions singulières, lui écrivait-il ; il est plus dangereux en cette matière qu’en toute autre. » Mais que l’on continue la lecture de la lettre, et l’on verra que ce ne sont là que les précautions oratoires d’un libre penseur insouciant, qui ne veut ni effaroucher son disciple, ni être responsable des faux pas qu’il pourra faire dans la voie où il l’engage. « Secouez toutes les craintes et tous les préjugés serviles par lesquels tant d’esprits faibles se laissent servilement écraser. Fixez votre esprit dans une ferme assiette, et citez devant son tribunal tous les faits, toutes les opinions… Ne vous laissez pas détourner de cet examen par la crainte des conséquences. S’il a pour résultat la croyance qu’il n’y a point de Dieu, vous rencontrerez des encouragemens à la vertu dans le plaisir et le charme que vous trouverez à la pratiquer, et dans l’amour des autres qu’elle vous procurera. Si vous découvrez des raisons de penser qu’il y a un Dieu, le sentiment que vous agissez sous son regard et qu’il vous approuve sera un grand encouragement de plus. Si vous êtes conduit à croire à une vie future, l’espoir d’une existence heureuse dans l’autre monde rendra plus ardent votre désir de la mériter. Si Jésus vous paraît avoir été un Dieu, vous serez consolé par la foi en son secours et en son amour. En un mot,