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la méfiance des nouveautés non encore éprouvées, et leur proposait pour modèle non la république américaine, mais la monarchie constitutionnelle anglaise. Le 28 février 1787, peu de jours après la réunion de l’assemblée des notables, il écrivait à M. de La Fayette : « En gardant sans cesse devant les yeux le bon modèle de vos voisins, vous pourrez arriver pas à pas à une bonne constitution » Bien que le modèle ne soit point parfait, comme il a plus de chance de réunir beaucoup de suffrages que tout autre nouveau plan, il vaut mieux l’avoir en vue. Et quand même il faudrait acheter chaque progrès en remplissant d’or les coffres royaux, ce serait de l’argent bien employé. Il faut que le roi, qui a de si bonnes intentions, soit encouragé à répéter ces assemblées. Vous voyez combien, nous autres républicains, nous sommes portés à prêcher, lorsqu’une fois nous abordons la politique. » Et à la comtesse de Tessé, le 20 mars 1787 : « Si les notables veulent tenter des innovations pour lesquelles l’esprit public n’est point encore mûr, ils peuvent tout perdre et retarder indéfiniment le jour où l’on pourra atteindre le but auquel ils aspirent. »

Malgré ce sentiment de la supériorité du génie politique des Anglais, Jefferson n’éprouvait pour eux aucune sympathie ; il les regardait encore comme des ennemis. L’hostilité naturelle qu’il avait conçue contre eux pendant la guerre de l’indépendance avait pris de jour en jour, depuis la conclusion de la paix, un caractère plus amer et plus systématique ; La diplomatie américaine les avait trouvés sur son chemin dans toutes ses négociations. Grâce à leur malveillance et au mauvais renom qu’ils avaient partout donné aux États-Unis, les efforts de la commission générale pour contracter de nouvelles alliances en Europe étaient restés stériles, à ce point qu’elle avait vu arriver avec joie l’expiration de ses pouvoirs. Franklin était retourné à Philadelphie. Nommé son successeur à Paris, Jefferson n’éprouvait de la part du gouvernement et de la société polie que des marques de bienveillance. Envoyé en qualité de ministre plénipotentiaire à Londres, John Adams n’y rencontrait au contraire que mauvais vouloir et dédain. Le cabinet anglais se refusait non-seulement à exécuter le traité de 1783, à évacuer le territoire de l’Union et à ouvrir ses ports aux navires américains, mais encore à envoyer un ministre à New-York, et à rendre à la nouvelle république la politesse qu’il en avait reçue. En vain Jefferson, pour donner plus de poids aux réclamations des États-Unis, était-il allé rejoindre son collègue à Londres. Au bout de quelques semaines, il était revenu à Paris sans avoir rien obtenu, profondément irrité de l’accueil disgracieux que lui avaient fait le roi et la reine, et du peu d’égards que lui avaient montré ses compatriotes d’autrefois. « Sans manquer à son honneur et à sa dignité, le congrès ne peut pas renouveler ma