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français qui attendaient encore leur solde, mis en demeure par l’Angleterre et par la France d’expliquer la violation d’engagemens financiers et diplomatiques que les articles de confédération donnaient au congrès le droit de prendre, mais non d’exécuter, bafoués par les journaux de Londres, qui leur demandaient s’ils étaient assez nombreux pour représenter treize petites républiques rivales, exposés jusque dans les salons de Paris à entendre reprocher à leur gouvernement son impuissance et sa mauvaise foi, à leur pays son état de division et, d’anarchie, ils n’avaient guère autre chose à faire que des vœux pour que l’excès du mal fit sentir à leurs concitoyens la nécessité du remède et l’urgence de réformer la constitution. « Au milieu de leurs belles qualités, s’écriait Jefferson, nos compatriotes ont un gros défaut : c’est l’infidélité à remplir leurs engagemens… Aussi le renom de l’Amérique dans l’ancien monde n’est-il pas très flatteur pour ses citoyens. Nous trouvons qu’il est très difficile de faire ici des arrangemens commerciaux. Il n’y a point de confiance en nous. On nous reproche surtout le non paiement de nos dettes et le manque d’énergie de notre gouvernement ; ce n’est que depuis qu’il est question en Amérique d’augmenter les pouvoirs du congrès que je puis découvrir en Europe la moindre trace de respect pour les États-Unis. »

Ces paroles ont le ton d’une bien grande liberté d’esprit, mais les hommes de race anglo-saxonne ne courent guère le danger de pousser trop loin l’humilité nationale, et après d’amers aveux, il faut toujours s’attendre de leur part à de brusques retours d’orgueil patriotique. En dépit de l’Europe et de sa propre humeur, Jefferson restait bien convaincu de la supériorité de son pays sur tous les autres. « Quoi qu’on en dise, il n’y a point sous le ciel de gouvernement plus paisible et de peuple plus heureux et plus content… Si tous les maux qui peuvent sortir de notre forme républicaine de gouvernement à dater de ce jour jusqu’au jour du jugement dernier pouvaient être mis dans une balance et comparés à ceux que la monarchie impose à la France en une semaine et à l’Angleterre en un mois, la balance pencherait du côté de l’Europe. Par modestie, on se fait souvent injure ; nos compatriotes abusent de cette vertu. Ils ne se doutent pas assez de leur supériorité. »

Exagération imprudente, qui dans toute autre bouche passerait pour de l’ironie. Jefferson la prenait fort au sérieux, et il attachait tant d’importance à trouver des argumens en faveur de sa thèse, qu’il invoquait à son profit les réformes comme les abus de l’ancien régime, l’édit de 1787 pour rendre l’état civil aux protestans comme la révocation de l’édit de Nantes, et au lieu de savoir gré à Louis XVI du premier pas qu’il avait fait pour se rapprocher du